À ceux qui croient que mon argent endort ma tête /
Je dis qu'il ne suffit pas d'être pauvre pour être honnête /
Ils croient peut-être que la liberté s'achète


Je vois beaucoup de gens qui insistent sur l'aspect comique du film, ses situations abracadabrantesques et ses visuels clipesques. Certes, les premières minutes donnent immédiatement le ton (résolument ironique) et établissent l’esthétique ( ça lésinera pas sur le drone et les couleurs pop) et les personnages sont établis grâce a des vignettes drolatiques. Cependant le film a beaucoup plus à offrir qu'un remake des films de Guy Ritchie à la sauce française. Je vais m'expliquer, rigolez pas svp.


François est un jeune dynamique. Il a des idées. Il tente de fidéliser ses clients en filant des tickets à gratter avec la barrette de shit. Seulement voilà : François est entouré de bras cassés et le deal, à la longue, ça fatigue. Alors François décide de monter son propre business, légal cette fois, sans doute inspiré par tous les discours de Macron sur l'auto-entreprenariat. Le monde ou rien réclament les frangins de PNL dans le titre qui accompagne la bande annonce. The world is yours lit-on sur le ballon de Scarface, film culte de pléthore de petits dealers. Mais comme François est un jeune de banlieue qui a grandi pendant la crise des subprimes, son rêve à lui est plus modeste : une baraque avec piscine et peut être une fille qui l'aimerait bien. D'ailleurs la plupart des personnages du film ont conscience de leurs limites et ont choisi leurs rêves en conséquence : la mère de François, voleuse de profession, rêve depuis des années d'un pavillon dans un coin plus calme. Les dealers en bas de la chaine alimentaire rêvent de détrôner le chef. La jeune femme de retour dans la cité qu'elle croyait avoir quitté pour de bon rêve d'une situation financière stable, quitte à vivre avec quelqu'un qu'elle n'aime pas. En 2018 quand tu viens de banlieue, vaut mieux revoir tes rêves à la baisse. Surtout que la banlieue a tendance à ne pas vouloir te laisser partir.


En effet, après une trentaine de minutes d'exposition, on quitte la banlieue pour le bord de mer espagnol. Mais ici on n'est pas dans la Haine, ou le contraste entre Paris et la cité était particulièrement prégnant, notamment parce que Kassovitz se débarrassait des plans fixes pour bien retranscrire le malaise de ses héros dans un environnement hostile. Chez Gavras, on retrouve les mêmes plans de drones à la PNL sur les mêmes tours hideuses, le même amour du bling bling que ce soit en banlieue ou en Espagne. Les petits trafiquants d'Europe sont tous liés par le même mauvais gout et François, notre héros, se fait trahir aussi bien par des gens de chez lui, à qui il était censé faire confiance, que par son nouveau contact anglais. 25 ans après la Haine, le soit disant "film de banlieue" change d'échelle : les dealers se surnomment Poutine, on marchande en anglais, la crise migratoire et le terrorisme sont des acteurs majeurs dans le scénario. Et où qu'il soit, François se débat toujours contre les débiles qui lui servent d'acolytes et contre sa mère castratrice, qui l’empêche de prendre son envol.


François échappera d'ailleurs à son environnement en coupant finalement les ponts avec sa mère, les deux allant de pair.


Le Monde est à Toi est un produit de son époque autant que la Haine était un produit de la sienne. Les petits dealers écoutent du Jul, fument la chicha et se dopent à la codéine, tout en regardant des vidéos conspirationnistes. La Bo en est un bon exemple : on oscille entre les classiques de la chanson française transmis par les parents et le rap issu de la culture jeune, une dichotomie pas seulement réservée aux enfants des banlieues mais à une grande partie de la jeunesse française à une époque ou le rap est devenue la musique dominante. De même on parle désormais de narco-terrorisme et de djihad et on critique les réfugiés tout en en tirant un profit financier ( je suis presque sure que c'était ce que Gavras voulait dire durant la scène de la villa et qu'il ne s'agissait pas là d'une blague douteuse comme l'ont pensé certains.)


Ainsi pour moi Le Monde est à Toi est certes bourré de moments loufoques et de personnages barrés ( notamment Poutine et les deux Mohammed) mais il s'agit aussi d'un film sur la difficulté d’être un(e) jeune de banlieue dans la France de 2018 partagé entre désir d'indépendance et loyauté à sa famille, entre mauvaises fréquentations et relations toujours intéressées, entre envie de se barrer et peur que ce soit partout pareil. C'est aussi un des rares films français à avoir pour héros un jeune issu de l'immigration qui ne soit pas présenté comme un gros débile ou un cliché ambulant, juste un jeune adulte qui essaye de trouver sa place dans un monde pas vraiment accueillant, comme tous les jeunes de mon age.

cielombre
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le 9 sept. 2018

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