Quand une préquelle supposément inutile portée par deux cinéastes en qui l’on ne croyait plus vraiment se transforme au visionnage en une délicieuse surprise, on se dit que 2018 pourrait bien en avoir pas mal sous le capot…


The Evil Within


Pour leur première escapade aux Etats-Unis, on peut dire que le duo de frenchies Alexandre Bustillo et Julien Maury ont choisi un sujet on ne peut plus américain… La genèse de Leatherface, le légendaire boogeyman de Massacre à la Tronçonneuse, découle effectivement de tout une idéologie de la dégénérescence de ce « beau pays », le chef-d’œuvre originel de Tobe Hooper étant le portrait crépusculaire d’une Amérique en perdition, se mordant la queue… Et offrir un nouveau volet, qui plus est une « origin story », à cette saga (souvent malmenée depuis le film originel) nécessitait une compréhension profonde de ses éléments philosophiques fondateurs. Et à bien y réfléchir, c’est peut être dans ce contexte que le duo français pouvait le plus briller. Puisque, après un premier essai prometteur en 2007 (À l’Intérieur), les deux cinéastes ne sont depuis jamais parvenu à s’extirper d’un cinéma trop référentiel et un peu brouillon, piochant des idées dans tout un pan de cinéma fantastique mais manquant cruellement d’une véritable vision et d’un univers propre (Livide et Aux Yeux des Vivants). Plonger dans une saga aux codes visuels et narratifs déjà établis pouvait donc permettre aux réalisateurs d’éviter ces pièges tout en exposant, comme à leur habitude, tout leur amour pour le cinéma de genre.


Leatherface pourrait donc être enfin le film de la maturité pour Bustillo et Maury, tant le script mis à leur disposition leur permet d’offrir une vraie proposition de cinéma. Sautant habilement d’un sous-genre à l’autre (on passe du film de rednecks au film d’asile psychiatrique, puis au road movie criminel), le scénario surprenant de Leatherface est celui d’un film qui pourrait presque s’extirper du rattachement à la saga Massacre à la Tronçonneuse. Évoquant tour à tour Freddy 3 : Les Griffes du Cauchemar, Bonnie and Clyde et The Devil’s Rejects (la boucle est bouclée), Leatherface évite le schéma tout tracé du slasher de base et n’offre pas son lot habituel d’adolescents interchangeables se faisant massacrer les uns après les autres. Ici, nous passons même de l’autre côté du miroir pour se retrouver au cœur d’un petit groupe d’individus dérangés fraîchement évadés d’asile, ce qui permet en plus d’évoquer des thèmes chers aux deux cinéastes : le basculement vers l’âge adulte et l’instabilité émotionnelle de l’adolescence.


Double Face


Malheureusement, comme si cela était trop beau pour être vrai, Leatherface a subi une post-production difficile et s’est vu affublé d’un remontage bourrin ordonné par des producteurs peu soucieux de livrer un vrai film d’auteurs mais cherchant plutôt à taper dans les scories du genre et le fan service vulgaire (la scène d’introduction, revisite ridicule de la mythique scène du dîner, a été tournée par un tiers afin d’être rajouter au montage final, le séquence prévue par les réalisateurs a, quant à elle, disparue). Il en résulte donc un projet assez bâtard, qui aurait mérité un développement plus approfondie des personnages et un rythme plus « posé « . Le montage épileptique et les coupes imposées par le studio Millenium (déjà coupable de Texas Chainsaw 3D) n’auront cependant pas eu raison de Leatherface, tant la vision d’ensemble demeure percutante et subversive.


Le film joue par ailleurs souvent avec les attentes du spectateur et notamment sur l’identité de Leatherface, gardée secrète jusqu’au dernier acte et dont chacun se sera fait sa petite idée d’ici là, au risque d’être très surpris, ou pas… Ce jeu de piste très bien pensé offre une originalité inestimable à ce long métrage qui ose sortir des sentier battus pour mieux prendre le spectateur à revers. Il est d’autant plus agréable de constater que le film parvient à conserver le mystère et l’aura du personnage de Leatherface en ne s’acharnant pas désespérément à vouloir tout expliquer. Côté charcuteries, on peut dire que les amateurs de barbaques seront servis ! Les cinéastes osent filmer un gore bien crade plein cadre tout en sachant toujours couper au bon moment, laissant ainsi travailler l’imagination du public. Cette application dans la mise en scène se ressent tout le long du film, et ce malgré une « shaky cam » un peu trop présente. Certains plans larges de décors crépusculaires resteront même dans les mémoires et la superbe photographie d’Antoine Sanier (déjà chef-op sur Aux Yeux des Vivants) contribue magistralement à l’atmosphère sèche et pesante du film.


Très bonne surprise donc que ce Leatherface, qui s’est pourtant vu mettre de nombreux bâtons dans les roues par un studio trop soucieux de répondre aux pires scories du genre. Car il faut bien l’admettre : le véritable film de Julien Maury et Alexandre Bustillo n’est malheureusement pas visible. Le produit final est donc un compromis qui, certes, porte les stigmats d’une industrie castratrice, mais demeure une belle proposition de cinéma horrifique, inventive, hargneuse et qui prend aux tripes.


Critique originale : https://www.watchingthescream.com/texas-madness-critique-de-leatherface/

Créée

le 13 janv. 2018

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Aurélien Z

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