Leaving Las Vegas est une tragédie amorale, une romance d’un cynisme impitoyable, réunissant deux âmes démissionnaires. Ben Sanderson (Nicolas Cage) est l’homme que tout le monde évite. Il boit toute la journée et écume les restes de sa vie, passe aux putes, aux bars, etc. Tous savent qu'il est fini. Il n’y a pas d’agressivité de la part des autres, juste de la gêne. C’est la même chose avec son supérieur : lorsqu’il le licencie, il se montre prévenant, ferme et résigné. C’est fini, il est temps de refermer la page, inutile d’être hostile ou d’enfoncer le clou. Et Ben comprend, ne s’oppose pas.

Il a la conscience de la situation ; il est incapable de la surmonter. Alors il va poursuivre sa descente et l’assume à fond désormais. Il part à Las Vegas, du sur-mesure pour le loser flamboyant qu’il est devenu. Il faut rester en accord avec qui on est : c’est sa dernière victoire possible et c’est la plus importante pour un Homme. Là il rencontre Sera (Elisabeth Sue), une prostituée. Elle s’émancipe de son mac, de sa vie pourrie ; elle veut vivre avec lui. Bien sûr lui aussi le veut ; mais son suicide à l’alcool est en marche et rien ne pourra le changer – ni le suicide ni sa nature à lui. Elle accepte cela, l’assimile et accepte de considérer le problème comme une donnée inaltérable.

Et lui accepte tout ce qu’elle est : une putain notamment. Leur résignation à tous les deux est magnifique. C’est une relation peu conforme, mais un couple tout de même. Ils ne cherchent pas à mourir, ils ont juste décidés de partager leur solitude et de ne chercher plus rien dans le monde ni dans l’avenir : au lieu de ça ils vont rester des passagers, ne devant rien à personne, coulant tranquillement hors de tout. Forcément le sursaut se fait ressentir, chez le spectateur ! Cette situation est peut-être légitime, mais elle est trop terrible au quotidien ! Et pour Sera aussi : il y aura l’envie de rompre avec tout ça, on ne peut choisir la mort même douce !

Et pourtant si. À un moment Sera veut croire à un espoir, car elle veut vivre, avec lui. Mais il la condamne à être une infirmière stoïque à ses côtés, sur la pente vers l’évaporation. Et tout en prenant des distances finalement, elle devient elle aussi une épave élégante et sensuelle, bientôt refoulée partout. Cette volonté de le réparer est encore plus courte que l’errance qui suivra : l’affaire est à conclure, concluons-la sans leurre, nous aurons l’authenticité pour nous. La disposition de ces personnages est horrible, mais insidieusement réconfortante, car il n’y a plus à se battre, juste à être.

Leaving Las Vegas, c’est l’acceptation de voir sa fin, c’est deux personnages cessant de gesticuler pour avouer : oui, je ne suis qu’une ombre, oui je vais quitter la vie sans y avoir été à la hauteur de mes rêves, oui ma situation est incurable et mon caractère est fatigué. D’ici le saut vers l’oubli, il y a moyen de trouver du plaisir. Repli, honnêteté intégrale, attitude de survivant délicat. L’auteur du roman dont le film est adapté s’est suicidé juste après avoir vendu les droits d’adaptation au réalisateur Mike Figgis. L’impasse a ça de positif : elle force à concrétiser l’oeuvre au lieu d’encore s’éparpiller. Le film est conçu avec cette même énergie fataliste, l’objet raffiné et le sujet pathétique.

http://zogarok.wordpress.com/2014/09/15/leaving-las-vegas/

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le 14 sept. 2014

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