Quand on s'attaque à un biopic, il faut choisir. Ouvrage de taxidermiste pour refiler du lustre à une icône disparue, déchue ou méconnue ? Ou proposition de mise en scène (et de réflexion) autour d'un personnage replacé au centre d'un microcosme qu'il a bouleversé ?
Bob Fosse est notoirement célébré pour ses comédies musicales (Cabaret, Que le spectacle commence). Il change peut-être de registre avec Lenny, mais son expérience sur un cinéma de l'image en mouvement ne sera pas en veilleuse. Le film ne dépareillera pas aux côtés de monstres comme Citizen Kane ou The Social Network. À l'inverse d'une convention qui induirait une structure hagiographique et à une certaine lenteur, la vie du comique Lenny Bruce se fractionne en entretiens, flash-backs, points de vue qui se succèdent ou s'alternent, se répondent ou se contredisent. Un exercice de montage brillant puisqu'il éclate la chronologie, condense sans éluder, et embarque le spectateur dans un amusant puzzle qui s'assemble à vitesse grand V. Devant la caméra, Dustin Hoffman livre une de ses compositions les plus endiablées. La belle galerie de seconds-rôles (Valerie Perrine, Jan Miner) offrent de jolis rebonds à ces morceaux choisis.
Impossible de ne pas parler de ce noir et blanc expressionniste, qui joue à merveille des dualités claires-obscures du personnage, de ses proches ou de l'Amérique. À l'instar des travers que Lenny s'employait de railler, le film de Bob Fosse passe le pays de la liberté aux détecteurs de mensonges. Notamment dans son rapport hypocrite à ces tabous qu'il taxe d'obscènes ou d'antipatriotisme en public alors qu'en privé...Lenny Bruce fut autant un résistant à la censure bienpensante qu'une victime tragique des rafles anti-subversives.
Son destin et le film qui lui est consacré rappellent que même les plus petits combats ont eu besoin des plus grand esprits. Si la victoire à le goût d'un triomphe à la Pyrrhus, Lenny est le plus beau mausolée qu'on pouvait accorder à celui qui y a consacré l'essentiel de sa vie.