« Le négro qui est à l’écurie a une lettre d’Abraham Lincoln.»
« Quoi ? »
« Le négro qui est à l’écurie a une lettre d’Abraham Lincoln.»
« Le négro qui est à l’écurie a une lettre d’Abraham Lincoln ? »
« Ouais. »
« ???!Non. C’est pas possible ça. C’est une fausse lettre. »
« Pourquoi ? »
« Abraham Lincoln est président des Etats-Unis. Le président n’écrit pas aux négros. »
Tarentino revient. En Panavision, en technicolor, en tout ce qu’on veut. J’avais bien amé Django, mais j’avais trouvé que c’était un divertissement de bonne tenue, et puis c’est tout. Ici on décolle, et on vise vraiment plus haut. Alors pourquoi 8 Salopards ? Pourquoi pas 12 ou 13 ? Indice, le générique nous indique que c’est le huitième film de Tarentino. On n’est jamais mieux servit que par soi-même, donc je vais pardonner cette autocongratulation. Voyons le reste avant de nous décider. D’abord l’image est grandiose. Le format donne une dimension telle, que 70 mm veut réellement dire que c’est grand. C’est ce que ça veut dire. Très GRAND. Le moindre plan des arbres sous la neige, de la diligence, fourmille de mille détails, et surtout est totalement immersif. Même quand il ne se passe rien, on est dedans. Autre point, les couleurs sont magnifiques. Enormément de nuances, de blanc cassé, de tons de neige, de gris bleus, rarement vues ces jours-ci à l’écran. Les grains de poussière qui flottent dans l’unique pièce qui sert de décor au film, scintillent comme des petits éclats de diamant…ça vit. Rien à dire, Quentin ne s’est pas foutu de nous. Le 70 mm c’est grand. Le reste l’est-il ? Pour moi c’est oui.


Quentin est de ces cinéastes, qui ont un style si particulier, qu’il n’appartient qu’à lui, qui ne marche que pour lui. Des signes, des citations, des références, et une telle science de la redistribution, que l’allusion à The Thing, je suis passé à côté. Celle à Liberty Valence aussi. Les autres…Il y en a tellement, que ça va au-delà de la simple citation, c’est une relecture de son panthéon cinématographique, en son et en lumière. Chez Quentin, la citation c’est rarement cache-misère. C’est plutôt du cinéma dans le cinéma. L’histoire c’est simple, il n’y en a pas. Quentin est arrivé à un point de maîtrise dans son « cinéma », qu’on ne voit plus que la maîtrise des codes de son art préféré, et son amour du jeu, du rebond, et de la métaphore. Arrivé à un point de non-retour, il est condamné. Soit il refait la même chose, et il va se faire dézinguer par la critique, (Tarentino nous refait du Tarentino), soit il innove tout, et il se fait descendre aussi, (c’est nul, c’est plus du Tarentino). Il choisit l’option numéro 1, mais poussée à l’extrême. Et le système tarentinien enfle jusqu’à la limite de l’implosion.


Presque tout  tourne autour du dialogue. Et quels dialogues ! Des répliques à la Quentin. Art de la formule. Inventives, drôles, jeu de langue profane, et gymnastique mentale vulgaire, qui touche au génie. Exemple : Kurt Russel file un grand coup de coude à Jennifer Jason  Leigh, qui parle trop, et après s’explique :

« On va mettre les choses au point. Quand je te file un coup de coude dans la tronche, ça veut dire : Ferme ta gueule. Compris ? » La pauvre est en sang, évidemment.
Amies féministes associées, bonjour, ou bonsoir. Racisme de bas étage, (négro, négro), misogynie, femme battue, (pauvre Jennifer, en même temps, elle l’a cherchée…). Elle passe les ¾ du film menottée à Russel, qui l’emmène à la potence pour toucher la prime. Elle vaut 4000 dollars cette pute. Pardon! Cette criminelle. Samuel Jackson, incarne Django Unchained vieux. C’est lui qui mène les débats. Et il aura du boulot. Tout le monde se retrouvant enfermée dans une auberge en pleine tempête de neige. On ne s’aime pas, on se supporte, c’est à qui fera la première erreur, et ça peut se déchaîner. Alors ça cause des tonnes. Ceux qui ne sont pas sensibles aux dialogues à rallonge, passez votre chemin. Ceux qui aiment les tours de passe-passe à la Quentin, ils vont se régaler. Moi, j’ai même pas vu passer, les 2h47 passer (!) Trahisons, mensonges, meurtres, jeu du chat et de la souris. Énigme. Provocation. Huis clos par moins 20 degrés. Violence libératrice, et bain de sang expiatoire. Lequel de ces salopards ment ? Il y a un intrus, mais c’est lequel ? Un qui prétend être ce qu’il n’est pas. Un de ces fils de pute, n’en est pas un, mais lequel ?


  Donc Quentin boucle la boucle. Il refait Reservoir Dogs, avec presque les mêmes acteurs, et un petit truc en plus. Le temps, et l’âge de raison. Beaucoup plus calme, beaucoup plus lent. Ça met tout son temps à se décanter. Ces personnages sont vides, comme d’habitudes. Ce qui vit, c’est le tissu de relations, fait de haines, d’intérêts divergents, et de compromis. L’auberge vue en panoramique, devient une USA en miniature, où on se barricade avec des bouts de planche, pour empêcher le blizzard de rentrer. (Autre façon de dire qu’on ne veut pas d’étrangers chez nous). On refait le match, sudistes contre nordistes, dans une ambiance de guerre civile. Celui qui sert de modérateur, c’est Tim Roth qui joue le gentleman anglais. Gentleman à double face. C’est le bourreau qui doit se rendre en ville pour pendre les condamnés à mort, une fois la tempête achevée. S’ils se tuent tous entre eux, ici, et maintenant dans cette auberge perdue, aucun intérêt. Et illégal, en plus. Scène de viol à la Pulp Fiction. Jeu de chaises musicales mortel, genre dix petits nègres d’Agatha Christie ; faux suspense, mise en abîme du film avec flash-back et changement de point de vue, filmée à l’identique. Cette figure de style est devenue un marronnier à la Quentin. Énorme retour sur intrigue du film, qui illumine les débats, et annonce le climax. Quentin refait presque tous ses films, et garde l’essentiel. Préférer l’intrigue à la narration, la direction d’acteurs chorale, un final explosif. Rapports humains (américains) conflictuels, et communautarisme problématique, et sanglant. Qui l’aurait crû, Quentin donne raison à Spike Lee(?)

Cluedo en forme de western, voilà 8 salopards dans une auberge espagnole. Cette auberge minuscule, rendue interminable par la grâce du travelling. Le nouveau western est devenu nouveau théâtre. Le décor est réduit à son minimum. Le seul élément qui sera utilisé, c’est la cafetière ( ?), et les armes à feu. Décor vidé de son sens, le jeu des acteurs remplit tout. Merde ! Mais c’est Dogville ! Tarentino nous fait du Lars, sauce chien. Quentin est devenu grand. Il est arrivé à la limite de son système, mais c’est grand.
Film fragmenté et maîtrisé de bout en bout. La jubilation habituelle est surpassée par une réflexion à peine feutrée sur le destin de cette Amérique. Un noir, un mexicain, une criminelle, un anglo-saxon, un Michael Madsen silencieux, à la mine patibulaire. Il est là, tout le temps, mais ne dit jamais rien. C’est l’indien, bien sûr ! Et ça finit mal, très mal. Les USA reviennent à leurs anciens démons. La parenthèse Obama semble terminée. Et si c’est ça que nous prépare l’Amérique, je peux vous dire qu’on est mal parti.


PS : Personne n’a remarqué la « subtile » allusion à Alien ? Le huitème salopard, c’est le huitième passager, l’intrus. Celui qui est tellement bien caché, que personne ne se doute de sa présence, ou de ses intentions. En fait, le huitième salopard, n’en est pas un. Et comme une surprise ne vient jamais seule, voilà qu’arrive Channing Tatum…

Angie_Eklespri
9
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le 22 août 2016

Critique lue 346 fois

Angie_Eklespri

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