Quoi de plus idyllique pour un cinéphile confirmé que de pouvoir explorer sa passion et déclarer son amour à ses idoles en offrant soi-même sa vision du cinéma? Le pari est risqué vu le nombre d'écueils à affronter, mais s'il a toujours été celui que l'on peut qualifier de "grande pompe", Quentin Tarantino a toujours réussi à tirer son épingle du jeu en proposant, en plus de son référencement maladif, sa propre personnalité, son regard, et surtout des idées de mises en scène tout bonnement uniques. Malgré des thématiques récurrentes - la vengeance reste régulièrement au centre de ses oeuvres -, chacun de ses films s'est inscrit dans un registre différent. Son style violent et nerveux est une signature, que ses fans sont contents de retrouver à chaque fois. Quand on regarde un Tarantino, on attend ce moment où tout va péter, où tous ceux que nous nous sommes efforcés à haïr durant les longues expositions aux dialogues savoureux vont se prendre une branlée sévère lorsque la caméra se pose en spectatrice vicieuse se délectant du tout avec une immoralité jouissive. Si ça ne plaira pas à tout le monde, ce cinéma, léger malgré sa complexité, est une marque de qualité de divertissement indéniable et un atout certain pour le grand mégalomane qu'est Quentin. Il devient alors évident que chacun de ses films devienne l'objet d'une attente insoutenable pour quiconque s'est extasié devant un Tarantino. The Hateful Eight nous a d'ailleurs dévoilé ses cartes petit à petit, de son casting à son thème en passant par ses techniques de réalisation, créant une tension, une envie de foncer en salle dès que les portes de notre lieu onirique ont à peine entrouvert. Et c'est ce qu'il aime, le copain Q.T, non pas qu'on écrase le pauvre type de sécurité qui voulait juste vérifier nos sacs et manteaux, mais qu'on lui voue un culte idolâtre. Parce qu'il s'aime beaucoup, le Quentin. Peut-être un peu trop d'ailleurs.


The very best of my own work. Compilation de trois heures relativement indigeste. En choisissant de s'éloigner de ses hommages habituels -malgré énormément de références-, Quentin Tarantino s'auto-suce, et n'oublie pas de le faire avec vulgarité. Tout ce qui est dans ses films se retrouvera donc ici. Atout? Pas tant que ça. Au bout de la première heure et demi de ce long métrage interminable, nous ne sommes allés nulle part. On est resté dans une calèche, à écouter des dialogues en continu et sans intérêt.


Et il est nécessaire de faire un léger aparté, qui me demande d'utiliser la première personne pour mettre un point au clair. J'adore le style de Quentin Tarantino. Ses dialogues toujours en déconnexion avec la réalité de l'intrigue, sa sur-exagération de la violence, sa gestion de la tension, ça me file constamment, si je puis me permettre, une gaule d'enfer. Mon préféré est Boulevard de la mort, qui recense tous ces éléments avec brio. Tout ça pour dire que l'argument du "ouais, mais c'est la marque de fabrique de Tarantino" ou "si t'aimes pas ça, alors t'aimes pas son style", c'est non.


Les dialogues donc. La capacité d'écriture du Monsieur, ce qui nous fait passer de longues heures entre copains à ressasser des répliques toujours exaltantes. Et qui ici, pendant, précisons-le encore, une heure et trente minutes, ne tourne qu'autour d'un fait qu'à priori le public, visiblement aveugle, n'aurait selon l'auteur pas compris : Samuel L. Jackson est noir. Entre autres détails permettant de définir les autres protagonistes présents dans la scène - chose évidemment bien faite, il n'y avait juste pas besoin d'en faire autant -, tout est tellement axé et exagéré sur ce point qu'on a l'impression que la couleur de peau est un personnage à part entière. Prétexte pour mettre des "Nigger" toutes les deux répliques, et dans un foisonnement tel que si on a défendu Quentin corps et âme contre les accusations le traitant de raciste avéré pour les dialogues de Django Unchained, c'est ici très dérangeant. Une fois l'intrigue mise en place, et que le huis clos promis s'entame, cet appui constant sur la place de l'homme noir dans cette intrigue ne cessera jamais.


Faisons une nouvelle pause. Oui, j'ai compris que la durée de cette exposition signifiait l'éloignement et la perte des repères, et oui, j'ai compris qu'on est dans un contexte post-guerre de sécession et qu'il faut bien nous faire comprendre les situations, l'esclavagisme encore frais dans l'esprit des personnages. Le fond est bon, la méthode est cependant appliquée à la mords-moi-le-noeud. Et c'est un auteur chevronné qui se foire devant nous, forcément, ça dérange.


Le huis clos est en place. Les personnages sont enfermés dans cette bicoque à l'ambiance accueillante comme un bidet turc, et le jeu du Cluedo peut commencer. Car c'est exactement de cela qu'il s'agit : un jeu de faux-semblants, une enquête où le spectateur doit s'efforcer de décortiquer chaque détail pour comprendre qui a fait quoi. On commence, par conséquent, à accrocher à mesure que l'étau se resserre et que notre attention enders les éléments est requise. Mais cela n'est malheureusement pas si facile.


Parce que l'ami Tarantino veut avoir le dernier mot. Il nous balance donc un twist qui n'était décelable par aucun indice, un flash back bien pompeux pour justifier le tout devant un public inconscient d'avoir été dupé (parce que tu comprends, ça a pété dans tous les sens et y a du sang partout, exactement ce qu'on est venu voir), on élimine les derniers personnages histoire de, on répond à "Que fait-on d'Alice Cooper occupé à faire des rictus depuis deux heures et quarante cinq minutes?", paf paf, générique de fin.


Et tout ça pour pas grand chose. Pourtant, il y a ici tout ce qu'on aime chez Tarantino, mais il y a aussi cette fine limite entre l'exagération d'un genre et la parodie ratée, que copain Quentin a passé son temps à enjamber sans nulle maîtrise. On parle d'humiliation, il se dit qu'il veut aller jusqu'à parler de bite. On veut du gore, il veut aller jusqu'à des têtes qui explosent devant un Samuel L Jackson qui se trémousse devant l'allusion à sa grosse teube. On veut du Tarantino, cet équilibre bâtard qu'il a toujours réussi à tenir, il fait du Rodriguez qui parle de cul et de grosse, très grosse queue. Et on adore Rodriguez, qui sait comment y faire et qui fait de la parodie tout du long, sans compromis raté. La frustration principale restera malgré tout autour de ce pseudo twist final, résultant d'une démarche malhonnête. On n'était pas devant un Cluedo et une participation proposée, Tarantino veut avoir le dernier mot et nous l'impose, rendant toute la réflexion précédente futile. Bref, il chie à la gueule de son public.


À l'extérieur, les personnages plantent 8 piquets pour pouvoir trouver les toilettes malgré la tempête. On suppose que cela représente les 8 oeuvres de la filmographie de Q.T, et il nous rappelle bien son désir de s'arrêter à la dizaine. À moins qu'il ne nous précise que dans deux films, il aura tout foutu aux chiottes, justifiant la mauvaise qualité de The Hateful Eight. Question d'interprétation n'est-il pas?


C'était long, vous avez senti que je me branlais fièrement sur mes connaissances comme si ma critique était l'interprétation absolue, la seule vraie parole? Et qu'avant de vous juter à la tronche sans vous demander votre avis, je vous balançais toutes mes conclusions en tombant de plus en plus dans une vulgarité absolue? Revoyez The Hateful Eight et réfléchissez aux similitudes. Après tout, le procédé narratif Tarantinesque, c'est pas si difficile à reproduire.


Grosse bite.

ThierryDepinsun
9
Écrit par

Créée

le 9 févr. 2016

Critique lue 447 fois

2 j'aime

ThierryDepinsun

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