Le synopsis est simple, nous suivons l'histoire de deux anges, Damiel et Cassiel, omniscients et immortels, observateurs de l'évolution des humains et de leur comportement.


Leur capacité à lire dans les pensées des gens nous donne un aperçu profond de la société berlinoise ravagée par le soviétisme telle que le voit Wim Wenders. Nos anges ne sont pas d'une neutralité divine, ils dispersent la bienfaisance en rétablissant l'espoir dans le cœur les plus déprimés, les plus nostalgiques d'une époque qu'ils ne connaitront plus. Et leur travail est d'envergure colossale, combien de pensées pessimistes arrachées à l'esprit des berlinois peut on entendre dans le film ? Des dizaines, toutes plus personnelles les unes que les autres ; elles remettent en question notre capacité à retrouver un travail, elles nous font douter de notre apparence auprès des autres ("mes fils ne voient plus que mes tics de visage en me voyant"), ou elle peuvent encore anéantir notre persévérance à chercher l'amour.


Malgré ce pessimisme ambiant omniprésent, Cassiel ressent le besoin de devenir humain et de lâcher son abscence angélique de sensations et de sentiments. L'opposition des arguments des deux anges nous tiraille dans ce qui serait un choix cornélien pour nous autre humains : Vivre mortel, et apprécier ce que l'on a car on ne l'aura pas tout le temps, ou vivre immortel et omniscient plus conscient que quiconque mais dans un monde qui n'a plus assez de secret pour nous ?


Le film parvient tout de même à nous faire comprendre à quel point la vie vaut le coup d'être vécue même lorsqu'elle semble devoir s'écraser sous le poids du désespoir. Je me souviens notamment d'un de ces personnages atypiques énoncer une liste d'éléments de la vie de tous les jours qui provoquent parfois en nous une sensation d'euphorie, parmi lesquels figurent "les premières gouttes de pluie sur le béton", une chose banale à voir, mais définitivement remplie de beauté.
Ce genre de plaisir ne peut se ressentir que lorsque l'on a conscience du temps qui passe, on comprend pourquoi vu de l'extérieur Cassiel veut partager avec nous cette vie qui déborde de bonheur dès que le moindre évènement sort de l'ordinaire !


L'enfance et la nostalgie de l'enfance y sont décrites avec éloge. Les ailes du désir nous dit que c'est durant nos premières années que l'on peut cerner parfaitement ce à quoi ressemble le paradis trait pour trait, même si c'est à l'âge adulte que l'on devient fervant croyant. C'est durant l'enfance également que l'on développe de l'intérêt pour ces choses ordinaires de la vie, et plus tard on les oublie même si elles ne changent pas. Ceci est extrêment bien retranscrit vers les premières minutes que vit Cassiel lorsqu'il s'incarne dans son corps humain, sa béatitude est celle d'un enfant, plus que n'importe qui il est heureux de vivre et de voir ces couleurs pour la première fois, qu'il est bambin !


La qualité principale du film repose dans sa vision vraie et authentique de la culture allemande post RDA. Le peuple allemand est retourné, son identité a été violée, et ce qu'on nommerait de manière réactionnaire "la débauche" constitue un refuge pour les jeunes. On ressent intensément l'ambiance de ces trop courtes scènes de concert de métal où va s'évader Marion (la femme dont tombe amoureux Cassiel) lorsque son manque d'amour la torture trop. Ces vieux squatts taggés de toute part, accueillant des concerts de musique expérimentale interprétée et écoutée par des personnes ayant plus de gramme de substances illicites dans le sang que de globules rouges !


Et comment ne pas parler de Peter Falk alias Columbo, ainsi que ce vieillard conteur. Le premier, ancien ange lui aussi, en capacité de résoudre les problèmes que rencontrera Cassiel dans son épopée du vivant, et le second, gardien des clé de "l'enfance de l'Histoire" comme il paraphrase si bien pour décrire. Ce vieillard à la recherche d'un quartier de Berlin de ses jeunes années, mais aujourd'hui détruit, déclame des tirades qui à elles seules donnent au film le mérite d'être vu une seconde, voire une troisième fois.


La fin de l'histoire nous montre un Cassiel ravi d'avoir pu succomber au plaisir charnel avec la belle Marion, ainsi qu'un Damiel morne et grisâtre, perché en haut d'une statue, qui semble presque jalouser son frère qui l'a abandonné. L'existence de Damiel semble bien vide de sens à côté de celle du héros (on peut l'appeler comme ça), car même sa volonté d'empêcher le suicide des hommes n'abouti pas toujours au résultat désiré... Il ne pourra même plus évoquer le bon vieux temps avec son pote Cassiel, ce temps où il n'y avait pas d'humain à envier, ce temps où l'amour n'existait pas !


Je ne pense pas avoir compris un dixième du film tant chaque phrase parait être une métaphore lourde de sens. Je ne pense pas non plus que je comprendrai mieux le film après l'avoir revisionné. La seule chose que je sais c'est que c'est en expérimentant la vie telle qu'elle est, c'est à dire instantanée, sans retour en arrière possible, faite de manque et d'abondance, de désir et de plaisir, que l'on pourra cerner son sens profond.

Oceanologue
8
Écrit par

Créée

le 30 juil. 2016

Critique lue 358 fois

1 j'aime

3 commentaires

Oceanologue

Écrit par

Critique lue 358 fois

1
3

D'autres avis sur Les Ailes du désir

Les Ailes du désir
Rawi
9

Critique de Les Ailes du désir par Rawi

Dans l'Allemagne encore divisée, les anges Damiel et Cassiel sont occupés à survoler le ciel de Berlin afin de recueillir les pensées des simples mortels qu'ils croisent. Ils ne font que les...

Par

le 18 févr. 2014

74 j'aime

9

Les Ailes du désir
Ticket_007
9

Envolées en "eaux profondes" du Moi

Attention, chef-d'oeuvre ! Attention, danger ! Parce que "Les ailes du désir" est un spectacle anti-spectaculaire au possible, pour approcher cette vérité inconfortable : vivre en le sachant. On sort...

le 16 juin 2016

40 j'aime

22

Les Ailes du désir
Sergent_Pepper
8

Berlin l’enchanteur

La poésie si singulière du cinéma de Wenders avait jusqu’alors tenu à un état de fait, celui d’une errance ou d’une stagnation au cours de laquelle émergent les réflexions ou sensations que le temps...

le 16 déc. 2020

38 j'aime

Du même critique

Au revoir là-haut
Oceanologue
8

Il est beau, il est très beau, et très courageux aussi

Après avoir lu le synopsis du film qui annonçait une histoire semblant sérieuse et solennelle, mon envie d’aller le visionner fut si soudaine que je ne pris même pas le temps de jeter un coup d’œil à...

le 13 nov. 2017

4 j'aime

Silence
Oceanologue
6

C'est simplement une formalité

Silence est un magnifique plaidoyer particulièrement assumé pour le catholicisme. De la première à la dernière seconde du film, l'objectif est de nous soutirer des émotions telles que pitié ou...

le 11 févr. 2017

2 j'aime

6

Undertale
Oceanologue
8

Dishes a really good stuff

Undertale est un jeu qui base son expérience sur les liens que va créer le joueur avec les différents pnj qu’il rencontrera au cours de son aventure. L’un des points fondamentaux d’Undertale est son...

le 6 févr. 2017

2 j'aime