Les Aventures de Tintin - Le Secret de la Licorne par TheScreenAddict

Sans doute l'un des films les plus attendus de l'année, Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne représentait avant même sa sortie un enjeu cinématographique considérable. Spielberg allait-il trouver la rédemption auprès de ses fans mortifiés par Indiana Jones et le Royaume du Crâne de cristal ? Allait-il se montrer respectueux envers la bande-dessinée créée par Hergé ? Comment ce défenseur du cinéma à l'ancienne allait-il gérer la technologie de la motion capture ? Tant de questionnements, discutés à outrance sur la toile, essentiellement portés sur le statut d'adaptation et le défi graphique de l'œuvre. Mais au-delà de ce discours périphérique, qui tourne autour de l'objet filmique sans vraiment le regarder dans les yeux, qu'en est-il de Tintin d'un point de vue purement cinématographique ? Que vaut le dernier né de Spielberg en tant que film ?

Visuellement parlant, c'est dans un univers d'une richesse picturale bluffante que nous entraîne le cinéaste. Les décors, les accessoires, les engins, tout est d'un réalisme sidérant, à tel point qu'on croirait certaines séquences tournées en live. Soin admirable apporté à des détails foisonnants, aux textures, aux couleurs, travail impressionnant sur la lumière par le fidèle Janusz Kaminski. Virtuosité d'un montage fluide, aux transitions inventives, parfois vertigineuses. C'est un écrin magnifique, aussi familier qu'exotique, que nous offre Tintin. Mais seulement un écrin, car le reste s'avère nettement moins réjouissant. La technologie, aussi impressionnante soit-elle, ne fait pas un film, surtout lorsqu'elle vampirise le scénario, les personnages, les sensations, les émotions. Comment peut-on s'attacher à des visages sans expression aucune, figures de cire figées rappelant celles des expériences numériques hideuses de Robert Zemeckis ? Comment peut-on se laisser emporter par une histoire outrancièrement balisée, millimétrée, tellement maîtrisée en vue de son traitement virtuel qu'elle en perd toute spontanéité ?

Le défaut majeur de Tintin, qui représente simultanément un vrai point fort quant à l'originalité des prises de vue, c'est justement ce traitement virtuel ambigu, le cul en permanence entre deux chaises, hésitant toujours entre un réalisme forcené et la caricature. Un tiraillement formel qui devient gênant pour le spectateur, d'autant plus qu'il est pratiquement impossible de s'identifier aux personnages, tant ils se révèlent inexpressifs à travers leur regard vide, presque bovin, jamais palpable. Des pantins sans âme qui s'agitent en vain en suivant une trajectoire trop calculée. Et que dire de ces mouvements de caméra incessants qui finissent par lasser l'œil au lieu de l'émerveiller ? Travellings circulaires omniprésents, traversées acrobatiques des décors... La volonté acharnée du spectaculaire, le désir hollywoodien d'en mettre plein la vue semble atteindre ici leurs ultimes limites, quitte à se tirer une balle dans le pied. Comme montée sur un avion téléguidé, la caméra virevolte, louvoie, enchaîne les spirales, les sauts, les courbes, mais sans jamais rien montrer, car ne s'attardant sur rien. La quasi absence de plans fixes finit par devenir effrayante de superficialité. La frénésie du rythme tue le rythme. On a littéralement l'impression d'assister à une interminable cinématique de jeu vidéo au lieu de contempler un vrai film.

Prisonnier d'un cahier des charges soumis au bon plaisir d'un public américain facile, Spielberg ne livre que l'ombre de son savoir-faire, troquant sa liberté et son univers d'artiste visuel contre une version sans substance et sans saveur, aussi lissée que policée de ses divertissements précédents. Il confirme avec Tintin la triste réalité des films en motion capture, technique d'une froideur ignoble qui prive l'objet filmique de sa chair et de son âme en le vouant à l'incarnation fantomatique de ses acteurs. Une froideur redoublée ici par l'absence totale et inquiétante de second degré, l'humour ne reposant que sur une pathétique paire de gags lourdingues (le Capitaine Haddock rotant des vapeurs d'alcool pour faire redémarrer le moteur d'un avion...), la légèreté croulant sous la pesanteur d'une banale histoire de vengeance qui se révèle être le cœur même de l'intrigue. Quant à la place du film dans l'œuvre de Spielberg, ce ne sont certainement pas les quelques pauvres clins d'œil noyés dans l'hystérie graphique générale qui parviendront à lui faire une place de choix, bien au contraire. Expérimentation mineure dans la filmographie colossale de son cinéaste, Tintin n'est qu'une gentille parenthèse ludique et anecdotique. Du moins espérons-le. Toujours est-il que le prochain Cheval de guerre semble déjà marquer le retour de Spielberg, comme un remède à la virtualité frileuse et inhumaine de Tintin, à une cinématographie plus traditionnelle, plus chaleureuse...
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le 28 oct. 2011

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