Ça, c'est une sacrée claque. Non que le film soit sensationnel ou délibérément viscéral, bien au contraire, il y a une retenue des émotions, une pudeur, qui donnent une grande dignité aux personnages, mais c'est vraiment un film magnifique.
D'une part, c'est certainement un des films à la photographie la plus audacieuse et la plus belle de ces dernières années — avec une inventivité qu'on n'avait peut-être pas retrouvé depuis L'Étrange affaire Angélica, de Manoel De Oliveira, avec un numérique éblouissant, utilisé d'une manière que je n'avais jamais vue. A ce titre, la séquence en dessins de l'origine mythologique de l'affaire est somptueuse, et témoigne de la grande vitalité artistique du duo de cinéastes.
Car ce film, c'est aussi l'inspiration, ce souffle venant d'ailleurs, en mouvement, dans un élan de création et d'énergie inventive permanent. Ça, je n'avais peut-être pas vu ça depuis le retour de Twin Peaks. C'est l'immensité du cinéma qui vibre dans cette création tantôt film de genre, tantôt comédie musicale (les scènes chantées ayant d'ailleurs une grande beauté extatique et céleste, à l'instar d'un air de Bach), tantôt drame social, tantôt conte, tantôt film d'initiation, tantôt film d'horreur. Quoi de plus cohérent, puisque c'est un film sur la mutation, l'acceptation des contraires, sur l'hybridité. C'est un film contradictoire, comme en atteste le traitement des personnages, comme celui de la propriétaire du logement de Clara, a priori antagoniste, a priori insupportable rentière satisfaite et paresseuse, qui gagne, très subtilement, au long du film, une complexité humaine et une discrète beauté qui témoignent de cette dignité dont je parlais auparavant.
En somme, à l'image de la main finale tendue au monstre, c'est un merveilleux geste vers le cinéma total, dans ce qu'il a de plus poétique et politique.