Les Chatouilles, ou l’histoire d’une vie, celle d’une enfance volée, celle de sa réalisatrice et actrice principale, Andréa Bescond. De la réalité au théâtre (Prix Molière 2016 du Seul(e) en scène) et du théâtre au grand écran, raconter devient un remède.


La danse, la maison familiale, et Gilbert. La piscine, la salle de bain, et Gilbert. Et puis Paris, la drogue, l’alcool, les petits-amis, et toujours Gilbert. Des années après, des kilomètres plus loin, Gilbert n’est jamais très loin. Il est là, sur un motif fleuri, là dans le cœur, là dans la tête, là comme une cicatrice indélébile.


Ce n’était qu’un jeu, pourtant. Odette (formidable premier rôle de Cyrille Mairesse), 9 ans, couettes blondes comme les blés, voix fluette, transpire l’insouciance. Il suffit de se plonger dans ses grands yeux bleus rieurs pour en sentir la bonté. Elle aime dessiner, elle aime la danse, elle aime jouer. Mais envolée l’enfance, envolée la définition du mot « jeu », envolé le sourire, quand Gilbert, meilleur ami de ses parents, lui propose « d’être la poupée, et [lui] la fille ». Une fois, deux fois, et puis de manière incessante.


S’ensuivent le mutisme et l’emprisonnement des souvenirs. Le visage d’Odette, celui du cygne blanc dans Le lac des cygnes, s’assombrit à chaque évocation du nom de Gilbert. Le regard a changé, il crie la peur, il crie l’indicible. Un soleil qui devient lune. L’emprise d’un violeur sur une enfant.Andréa Bescond, la réalisatrice du film (avec Éric Métayer), incarne également son propre personnage, Odette adulte, à l’écran. Qui de mieux, pour interpréter une histoire, que celle qui l’a vécue ? Celle qui en connait les moindres détails et les conséquences incommensurables ? Pour cela, elle use de la double temporalité, montrant les répercussions de gestes ayant eu lieu des années plus tôt sur son corps de femme, sur sa vie d’adulte.


Devenue danseuse, chacun de ses mouvements, empli de colère, à la fois ample et saccadé, semble signifier la prison qu’est la vie, la liberté qu’est la danse. Présente lors de l’avant-première du film à Lille, le 18 septembre, Andréa Bescond, pleine d’humour et d’énergie, le révèle : « La danse m’a sauvé la vie. Odette a ce corps qui est souillé. Et donc la danse, c’est un moyen de se réapproprier son corps. La danse est un rejet de la colère. »



Plus qu’un film ou qu’une thérapie, Les Chatouilles transmet un
message, celui de la fin du silence, l’extinction de l’impunité.
Parler pour ne plus oublier.



C’est d’ailleurs à travers sa vie d’adulte qu’Odette va, pour la première fois, avoir la force d’extérioriser ce qui la ronge en lettres. Là qu’elle apposera un nom sur ces « chatouilles » subies : un viol. Embarqué dans le cabinet de la psychologue auprès de laquelle Odette va libérer sa parole si longtemps gardée secrète, le spectateur navigue dans le film au rythme de son passé et de ses récits. Se retrouvant ainsi projeté d’un souvenir à un autre, de l’enfance à l’adolescence, avec les chimères qui y sont associées, pour comprendre la femme. Quitte à parfois être perdu entre le rêve, le passé et le présent.


Qu’importe, c’est un film qui casse les codes traditionnels du cinéma. Par son cheminement, par son côté « absurde » dans l’enchaînement des scènes de danse en huit-clos et par son cadencement dynamique. Mais également par les images montrées, dures et dérangeantes dévoilées notamment par le visage de Gilbert, rudement et subtilement interprété par Pierre Deladonchamps. Des traits angéliques et un sourire timide, un profil bienveillant qui cachent l’inconcevable, le cœur d’un imposteur, d’un manipulateur, d’un profiteur, d’un violeur.Photo du film LES CHATOUILLES« C’est un film qu’il faut voir avec les enfants pour pouvoir en parler. Le cinéma permet d’en parler », assure Karine Viard, également présente lors de l’avant-première à Lille. Karine Viard, qui joue cette mère insensible, stricte, qui ne laisse rien transparaître, jamais. Cette mère plus attentive au regard des autres qu’à celui qu’elle porte, et dont le rôle laisse filer les interrogations sur la compréhension, les secrets de famille, et l’amour maternel.


Outre les refuges destructeurs (la drogue, l’alcool), c’est parfois dans des rencontres impromptues, extraordinaires et salvatrices, sur le rebord d’une fenêtre, pour soigner une blessure ou en s’allongeant sur un divan que la réparation s’amoncelle petit à petit. Le cinéma, un fil conducteur pour rompre le silence, mais aussi illustrer comment se réconcilier avec soi, comment se reconstruire avec son passé, pour se réparer et se retrouver.


Marylou Czaplicki


https://www.leblogducinema.com/critiques/critiques-films/les-chatouilles-danser-pour-retrouver-un-corps-vole-critique-872697/

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le 18 nov. 2018

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