La cohérence, dans un gag, c'est un peu sublime. Notamment dans les gags visuels, dans les dessins animés par exemple, lorsque l'on nous fait rire sans les mots, et qu'au-delà du rire ça nous parle. Dans ces cas-là, personnellement, je ris d'autant plus. En pleurant même un peu parfois.
Mon choix des Croods, ici, est un peu un choix par dépit (mais pas tout à fait), parce que Blanche Neige était déjà prise. C'est un choix pour parler du soucis du détail dans les films d'animation, et de ce que ce soucis peut avoir comme double tranchant, selon qu'il soit utilisé intelligemment ou simplement pour en mettre plein les yeux... enfin voilà, tout ça pour dire, rendons à Blanche Neige ce qui est à Blanche Neige, c'est surtout elle qui motive cette critique.
La cohérence, dans le soucis du détail, c'est décisif. Ça l'est dans l'expression elle-même: « soucis du détail ». Pris comme un tout, le « soucis du détail » implique l'art de jouer sur des motifs discrets, ou juste sobres, pour appuyer subtilement le propos global de la situation, ou pour révéler quelque chose, et accompagner l'écriture du film. C'est le détail qui tue. Le souci du détail par contre, pris mot par mot, implique un détail soucieux, sur lequel on se penche laborieusement, de manière presque naturaliste, parce que l'on sait que le détail plaît, que c'est ce qu'attend le chaland... et surtout parce que l'on fait ça très bien! Aujourd'hui on anime des mers supers réalistes, des arbres dont l'écorce elle-même semble vibrer sous les turbulences du vent, des animaux dont le moindre poil est un individu...
Dans Blanche Neige, on nous montre un tas de patates, dont une qui est le nez de Atchoum. On multiplie les ingéniosités, pour nous montrer une nature à la fois mignonne, touchante et pervertie par l'ingérence de Blanche-Neige. On la sublime, elle, Blanche Neige, par ses mouvements de bras d'un kitsch absolu. On traduit aussi sa panique, lorsqu'elle traverse la forêt pour la première fois, en jouant sobrement sur la forme d'une bûche morte, pour lui donner l'aspect d'un crocodile. Le mouvement même de la bûche est en soi plausible, le crocodile saute à l'écran, mais la manière de l'amener - détail fugitif - est élégant, et fait sens. Tous les gags des nains, et leur rapport aussi à la musique qui les accompagne, dans leur abondance, sont autant de mots qu'il faudrait pour les décrire.
Les gags, chez les Croods, sont foisonnants eux aussi. Et, selon moi, apportent beaucoup au propos du film. Ils confrontent en permanence l'homme préhistorique à un monde hostile, tout en cherchant le détail qui nous ramène, nous spectateurs, à notre propre vision moderne de la nature. Il y a beaucoup d'uchronie et d'anthropocentrisme dans ce film, dans les gags animaliers notamment (ne serait-ce que dans cette grosse bête féroce qui ressemble à un chat d'appartement), et je pense que c'est volontaire. Et motivé. Ça relève les gags et leur donne globalement une cohérence. Comme dans Blanche Neige. La seule différence, c'est que chez les Croods, les gags, pris individuellement, sont moins drôles que dans le chef-d'œuvre de Disney. Et que la cohérence, quand même, pêche davantage. Mais là, après, c'est la créativité qui creuse la différence. C'est le talent, aussi. Dans l'humour, il y a des techniques - le souci du détail en est une - mais y'a pas d'recettes.