Les Croods
6.2
Les Croods

Long-métrage d'animation de Chris Sanders et Kirk DeMicco (2013)

« Les Croods », c'est le meilleur film d'animation 3D de Dreamworks depuis « Fourmiz », sorti il y a quinze ans, et (enfin) un concurrent sérieux aux production BlueSky et Pixar. Ça fait drôle à dire, surtout depuis que le studio enchaîne les films moyens peinant à laisser leur marque (« Megamind », « Dragons », « Madagascar », ce dernier s'étant en plus payé des suites très médiocres). Pourtant, et malgré un début qui ne laisse pas franchement augurer du spectacle à venir, le nouveau film de Chris Sanders est une réussite presque totale, à la fois technique, dramatique et comique. Le tour de force du film, c'est déjà d'avoir réussi à esquiver les innombrables ressorts rouillés des productions du genre en fouillant un univers pourtant surexploité, ici la préhistoire farouchement gardée par « L'Age de Glace », « Les Pierrafeu » ou encore « Le Petit dinosaure » de Don Bluth. Très vite, « Les Croods » étonnent par leur quête de fraîcheur dans cet univers commun que les artistes de Dreamworks s'amusent à dynamiter : dans le visuel, par l'invention de créatures complètement délirantes, dans le scénario, bourré jusqu'à la garde d'une symbolique volontairement excessive, souvent tournée en dérision. Tout, jusqu'à la bêtise des personnages, véritables hommes et femmes de Cro-Magnon, y est utilisé pour faire naître autant le rire (les gags vraiment efficaces pullulent, étonnament) que la poésie (la famille simplette s'y met carrément en quête du Soleil, symbolisme à la simple et fort). L'ensemble est harmonieux, gracieux, malgré de rares lourdeurs.

Chez Dreamworks on l'a compris : il n'y a rien de tel que de tourner en dérision les poncifs obligatoires du cinéma d'animation. Le problème est seulement que ce cynisme, si mal dosé, peut être gonflant et échouer à installer une belle alchimie (« Madagascar » en est un bon exemple). L'équilibre est toujours délicat à trouver entre la fidélité à des recettes commerciales usées jusqu'à la corde mais obligatoires (puritanisme, respect de la famille, voyage initiatique...) et la moquerie envers celles-ci, qui ne doit être ni trop virulente, ni trop timorée. De ce côté-là, « Les Croods » font un carton plein. Au niveau comique, passées quinze minutes d'introduction un peu molles, le film soutient le rythme respectable d'un bon gag par minute, brocardant avec tendresse les poncifs du genre, parfois de manière totalement kamikaze : il en va ainsi pour le scénario, qui s'achemine sur rails vers sa destination annoncée, n'hésitant pas à recourir aux raccourcis les plus brutaux pour éluder une séquence émotion ou symboliser le franchissement d'une étape. Le film a fréquemment une gueule de jeu vidéo, fonctionnant ouvertement par niveaux (le niveau du désert, le niveau de la jungle, le niveau de la cave) dont les transitions sont opérées avec une négligence volontaire (on passe du désert à la jungle en tombant, par exemple). Tout l'art des « Croods » est qu'ils sont appliqués dans leur négligence, laquelle joue le rôle de leurre pour maximiser l'impact des séquences musclées, qui sont nombreuses ; s'exprime alors une créativité impressionnante, où les animateurs donnent vie à des créatures (toutes imaginaires) simultanément improbables, mignonnes, drôles et flippantes, qui ne s'embarrassent d'aucune cohérence de l'une à l'autre. Face aux découvertes hétérogènes de la vie sauvage, la famille, à l'image du spectateur pris de court, baragouine son émerveillement d'un air ouvertement abruti (« cette caverne a une langue », « je crois que le feu m'aime bien »...) et les scénaristes vont jusqu'à pousser leur road trip aux cimes de l'absurde, liant étroitement la faune (variée et stupide) avec le destin de nos Pieds Nickelés cro-magnonnesques.

En fait, il n'est pas évident de trouver quelque chose qui ne fonctionne pas dans « Les Croods ». La part belle y est faite à l'humour, lequel évite le scato ou le banal pour se concentrer sur son potentiel rapport à son univers et surtout à sa faune locale, qui, elle, est effectivement très originale. À ce niveau, on est dans une inventivité rarement atteinte qui laisse toujours le spectateur dans l'attente de la prochaine découverte. Les inévitables clins d'œil au monde réel sont quant à eux nombreux, mais pas lourds, aidés par cet esprit de dérision qui surprend à plusieurs occasions (l'obsession sécuritaire de la famille contemporaine, surtout, donne lieu à quelques uns des sketches les plus drôles du film, via les histoires de propagande à la morale « pro-repli sur soi » racontées avec passion par le chef de famille). Tout en renvoyant chacun à un archétype, les personnages sont bien intégrés dans l'univers et c'est leur potentiel comique qui sera privilégié. Leur sauvagerie menaçante, leur individualisme et leur ignorance, qui évoque une certaine frange de l'Amérique contemporaine upper-class, leur fait débiter un nombre d'âneries considérables que tempèrent l'amour et le dépassement de soi, en tête des valeurs prônées par le film qui met en sourdine les bienfaits de la famille. D'un point de vue purement moral, ce Dreamworks est d'ailleurs surprenant en transmettant en priorité l'importance de l'ouverture (à l'autre, au monde) alors même qu'il met en scène un clan a priori indessoudable, replié. C'est certainement l'élément clé qui rend les rares scènes d'émotion si digestes, accompagné de cette poésie qui affleure, à la fois brutale et vraie, bête et essentielle, où l'on fuit les ténèbres pour poursuivre le soleil qui « mène jusqu'à demain ». C'est une jolie quête, à l'image de celle poursuivie dans le « Fourmiz » d'Eric Darnell et Tim Johnson avec lequel nos « Croods » partagent ce goût pour la simplicité, cette aversion pour la vulgarité.
boulingrin87
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le 28 sept. 2013

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Seb C.

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