La mer "qu'on voit danser le long des golfes clairs" a des reflets sanglants, la mer... Film culte intergénérationnel, succès populaire et objet accompli, Steven Spielberg savait-il que son métrage accèderait à une telle postérité ? Rien de moins sûr quand on découvre via le making-of le calvaire que lui et son équipe ont enduré lors du tournage de Jaws (oui, comme le doublage de 2005, il convient d'oublier le titre français). Mais l'on sait aujourd'hui qu'à cause d'une mécanique récalcitrante, le sel de leurs larmes s'est transformé en or blanc.
Portée à l'écran par un réalisateur en état de grâce, cette chasse au requin tueur se voit littéralement transcendée. Et il n'y a rien à jeter sur la bête : chaque scène nous entraîne un peu plus par le fond, chaque plan dessine avec un art consommé le portrait héroïque de ses attachants protagonistes. Justice est rendue au très bon roman de Peter Benchley (qu'il est évidemment conseillé de dévorer). Ingénieux, malicieux, inspiré, le capitaine du navire a su braver les tempêtes pour livrer une œuvre totale sur laquelle souffle un vent vivifiant de panique et d'aventure.
On se souviendra très longtemps (entre autres) de Mme Kintner et de son petit Alex, d'un maire à l'appétit plus vorace qu'un grand blanc, de deux notes (John Williams à la baguette) signant un inexorable glas et de la belle bouille rigolarde Richard Dreyfuss (qu'on retrouvera peu de temps après pour un autre beau moment cinématographique). Un grand frisson sur pellicule, un monstre mythique qui hantera longtemps des eaux de légende.