"Pour moi, le monde entier est là: voici la beauté, la laideur et (désignant un requin) la mort".
Ce n'est pas Steven Spielberg qui a dit ces quelques mots. Et pourtant, à bien regarder Les Dents de la mer, on pourrait le croire...


Dès les premières secondes du film, il plonge son spectateur dans le monde sous-marin vu à travers les yeux de son terrible monstre qui, comme le précise le Pr Hooper, n'est pas UN requin mais LE requin.
Le monde marin, qui couvre une grande superficie de notre planète, qui lui donne son nom de planète bleue, Spielberg le peint suivant le regard de la mort, incarnée par un être tout à la fois réel et fantastique. Les Dents de la mer se veut Duel transposé dans le contexte maritime: le plus grand prédateur terrestre affronte son double aqueux dans un contexte de pure terreur.


                                           **Les instruments de la terreur**

Le requin des Dents de la mer, contrairement à une idée généralement admise, n'est pas un animal. C'est une variation de la figure du croque-mitaine, naturellement associé au concept de dévoration. C'est le loup médiéval des mers des seventies.
Il se veut l'incarnation d'une terreur qui échappe au rationnel: les simples requins se font aisément pêcher par la horde de chasseurs de requins se bousculant à Amity Island pour attraper le gros poisson qui risque de gâcher les vacances et la fête de la ville. Lui, leur échappe, étant plus qu'un simple requin.
Pour se faire allégorie de la terreur, le requin va bénéficier d'un grand nombre d'astuces cinématographiques que nous nommerons pour le plaisir de cette critique "les instruments de la terreur". Ces instruments, ce sont le titre du film, sa musique, le jeu entre suggestion et dévoilement du monstre.


                                                            *Le titre* 

Il n'y a pas de consensus quant au titre le plus efficace parmi les nombreuses variantes proposées par les différents pays. Créons ce consensus ensemble, voulez-vous?, ici et maintenant en posant qu'ils sont tous d'une efficacité diabolique !


D'abord, il y a les titres factuels qui, quand on y pense bien, ne créent pas de réelle terreur.
Le titre hongrois A Càpa signifie simplement Le Requin et le titre italien Lo Squalo est assez transparent. Elémentaires, ils peuvent éventuellement faire ressentir l'inquiétante étrangeté de la chose élémentaire, une peur sourde et incompréhensible. Plus inquiétants, les titres suédois et espagnols, respectivement Hajen et Tiburon, effacent l'article et rapprochent sémantiquement le requin du spectateur. A noter que le suédois remplace l'article par une déclinaison et que si le titre espagnol dit Requin, le titre suédois sous-entend LE Requin, un requin bien défini, distingué de la foule des requins.
Le meilleur de cette catégorie, c'est le titre allemand Der weisse Hai !
A la désignation du requin, il ajoute la couleur: "blanc". Et, s'il est vrai que le requin du film est un requin blanc, ce choix de titre recèle la terreur liée à cette couleur. Blanc, le requin devient synonyme de mort car il est alors possible de le rapprocher du Cavalier blanc ou Cavalier pâle de l'apocalypse, cavalier qui représente rien de moins que ... la Mort !
De plus, le A de Hai, mis bien au centre du titre sur l'affiche du film, c'est dire au niveau de la nageuse apeurée, fait office d'aileron de requin mais aussi de requin tout court. Le son le plus audible du mot pour dire requin en allemand devient l'image d'un requin et peut faire entendre le cri de sa malheureuse victime !


Ensuite, il y a les titres fonctionnant par métonymie et qui suivent le modèle du titre original: Jaws.
Jaws signifiant "Mâchoires", le requin n'est présenté au public qu'à travers ce qui chez lui est terrifiant et destructeur, ses dents. On ne voit plus le requin, on voit une gueule dentée de pics en ivoire prête à tout dévorer, mâcher et mettre en charpie sur son passage ! Ce titre est presque à lui seul plus terrifiant que le dessin des mâchoires de l'affiche du film !
Dans son dentu sillage, le titre thaïlandais qui signifie "mâchoires", le titre tchèque *Čelesti*de même sens, le titre polonais Szczeki, qui signifie aussi "mâchoires" et le titre japonais, de sens identique.
Ces deux derniers sont typographiquement plus terrifiants encore.
Le Szczeki polonais apparaît tantôt comme une flaque de sang dégoulinante formant le titre, tantôt comme fait d'un tout de chair dont l'extrémité, le "zeki" est partiellement arraché et sanguinolent. Les idéogrammes japonais figurent - peut-être malgré eux - un requin, une jetée, un mouvement de fuite et un homme courant pour échapper au requin.
Rien de bien rassurant ...


Enfin, les cas particuliers des titres danois et français.
Le titre danois, Doden gab, peut se traduire littéralement "Tuer la bouche grande ouverte".
L'objectif du requin ? Sa raison d'être ? Son mode opératoire? Ce qui est certain, c'est que ce titre danois assimile le requin à un tueur tout en mettant l'accent sur la mâchoire sur laquelle se concentre tout entier le titre original. Son ressenti est néanmoins peut-être moins efficace que ces titres qui tiennent en un seul mot et crée l'immédiateté du référé: Jaws, Mâchoires. Quel est le plus terrifiant: être dans la gueule ou dans l'esprit du tueur ?
Le titre français, quant à lui est souvent décrié, considéré comme moins bon que le titre original. A tort, selon moi.
Certes, il partage avec le titre danois cet éloignement des dents déchiqueteuses.
Mais il est plus terrifiant dans l'idée qu'il suggère.
Car il conserve la métonymie du titre original avec les "dents" même si ce mot fait faible face au mot "mâchoires". Cela dit son unique syllabe recrée l'immédiateté du mot anglais.
Son génie réside en ce qu'il ne s'arrête pas là et va bien plus loin que le titre original. Son complément du nom introduit une autre figure de style. Plutôt qu'une métonymie, les dents deviennent synecdocque: elles appartiennent à un tout clairement identifié: la mer. Et c'est à cette mer que le requin est comparé par métaphore. Ce n'est plus le requin qui tue: c'est la mer ! Cette immense étendue présente sur la majeure partie du globe, capable de créer des murs d'eau immenses, d'inonder des villes entières, cet instrument du Déluge, devient un immense requin pourvu de dent. Se baigner, ce n'est plus risquer l'attaque d'un requin: c'est se jeter sciemment dans sa gueule !
En cela le titre français fait preuve d'un génie qui dépasse le titre original car il crée une terreur moins directe, moins brutale mais plus suggérée et bien plus subtile. Une terreur qui n'a d'égale que la superbe musique de John Williams.


                                                            *La musique*

Ce n'est plus un mystère: Steven Spielberg et John Williams forment un duo quasi-indissociable. En 2017, sur l'ensemble des films de sa sa filmographie cinématographique, seuls trois films - La Couleur pourpre, Le Pont des espions et Ready players one - ne dispose pas d'une musique de John Williams. Quatre si l'on compte Duel plus comme un film qu'un téléfilm.
De sorte que la musique de l'un épouse souvent les ambitions narratives de l'autre.


C'est donc presque sans surprise qu'on retrouve le compositeur des musiques de Star Wars aux commandes de ce film mythique de Spielberg.
Et l'association cette fois est plus que profitable car la musique qu'offre Williams fait entrer le film dans la légende. Bien des gens ne connaissent le film que par cette musique.


Mais ce n'est pas sa propension à faire reluire Les Dents de la mer qui fait la force de cette musique. La musique est un acteur essentiel du film.
Et quel rôle joue-t-elle? Le plus jouissif et le plus intéressant: celui du requin !
Avant d'être une forme, un aileron, une gueule qui crée des effets de foules, des paniques balnéaires, Bruce - puisque tel est le surnom donné au requin par les trois héros - est avant tout une simple musique.
Une vue de plage, un plan de mer, une maison hantée en pleine nuit, une cérémonie de mariage, le repaire d'un méchant de 007: faites entendre les quelques notes subtiles et insidieuses de cette mélodie et vous saurez que le danger est là. Un danger qui s'approche à mesure que la musique faible puis, en crescendo, toujours plus sonore, se fait entendre. Disney usait du Sacre du printemps de Stravinsky pour son tyrannosaure dans Fantasia, Spielberg use du thème de Williams pour son requin blanc. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que, dans leur rythme comme dans leur démarche, ces deux musiques se ressemblent.
Pour revenir sur Disney, on notera que comme le chasseur de Bambi, Bruce est majoritairement présent par son leitmotiv.
Et ce leitmotiv est le premier instrument de l'entreprise de suggestion du requin qui sert à le rendre plus terrifiant encore.


                                                     *La suggestion du requin*

L'Antiquité est riche en anecdotes édifiantes.
On fait par exemple référence au peintre Timanthe qui aurait peint un tableau célèbre en ce temps, intitulé le Sacrifice d'Iphigénie. Dans ce tableau, qui ne nous est parvenu que par le biais d'une imitation plus ou moins attestée dans une fresque de Pompéi, Timanthe représentait Agamemnon assistant au sacrifice de sa fille Iphigénie. Pour exprimer la douleur de père, le peintre a décidé de recouvrir le visage de son personnage d'un voile qui permet au spectateur d'imaginer les traits déformés par le désespoir qui se cachent derrière. On parle ainsi de "voile de Timanthe" pour la suggestion artistique qui laisse au spectateur la liberté d'imaginer ce qu'il ne peut voir.
Cette pratique de la suggestion aura au cours des siècles de nombreux adeptes tels Stéphane Mallarmé en littérature - qui dans L'Enquête de Jules Huret prononce son délicieux : " Le suggérer, voilà le rêve" - ou, au cinéma, Christopher Lee et donc Steven Spielberg.


Steven Spielberg qui fait particulièrement montre de son génie de suggestion dans Les Dents de la mer.
En plus de la musique qui n'est pas de lui, il y a tous les procédés narratifs et cinématographiques qu'il emploie pour créer une atmosphère anxiogène et suggérer la présence du requin ou l'ampleur des dégâts causés par lui.


Ainsi, il allie récits de personnages, réactions des personnages et indices de présence avant de faire réellement apparaître la bête dans les moments les plus extrêmes.


Pour commencer, le requin n'est qu'un ensemble de récits, de descriptions érudites et de représentations livresques.
Martin Brody se désole sur une encyclopédie munie de photos de requins plus grands que nature, dont il tire une terrifiante information: les requins vivent jusqu'à 2000 - 4000 ans. Selon cette description erronée, les requins seraient presque des dinosaures, une menace antédiluvienne et les affronter reviendrait à combattre le tyrannosaure de Jurassik Park où le Sphinx de Gizeh qui soudain s'éveillerait. En réalité, les requins vivent entre 20 et 30 ans, 400 ans pour les phénomènes les plus étranges et marginaux. Mais cette description pseudo-encyclopédique dévoile déjà l'entreprise de suggestion de Spielberg.
Plus tard dans le film, Ellen Brody reproche à son mari de ne pas laisser leur fils se baigner dans l'eau juste devant leur fenêtre, où il ne risque rien. Son mari commence à présenter ses excuses, lorsqu'elle tombe sur l'illustration d'un livre représentant un requin dévorant des enfants. Saisie de terreur devant cette image, vite reconvertie, elle crie plus fort que son mari pour interdire la baignade à leur fils. Là encore, le requin n'est qu'une image fantasmée mais qui suffit non seulement à le craindre mais aussi à supposer qu'il est bel et bien présent là, dans les eaux tranquilles, devant la fenêtre !
Enfin, lorsque Matt Hooper et Bart Quint comparent leurs cicatrices laissées par des requins ou des ennemis à la guerre, plusieurs récits d'attaques de requins s'enchaînent. Jusqu'à celui, glaçant, du naufrage du sous-marin de Quint et de la dévoration mi-brutale mi-sournoise des rescapés par les requins. Ce dernier récit dispose d'une des plus belles hypotyposes cinématographiques qui nous donne l'impression de voir le carnage et l'insidieuse prédation. L'horreur est là, sous nos yeux et n'est qu'un récit !


C'est une description froide et scientifique que fait Matt Hooper du reste du premier cadavre qu'on ne découvre qu'à peine. Et cette description s'accompagne de la seconde astuce de Spielberg, plus cinématographique celle-là, pour suggérer le requin et la terreur qu'il doit inspirer. Car notre océanographe, qui n'en est pas à son premier requin ou sa première victime de requin, en vient à exprimer son dégoût et à vomir.
Ce sont les réactions des personnages qui vont exprimer une horreur peu représentée par elle-même. En cela, Spielberg devient le Timanthe cinématographique: il joue avec les hors-champs et les contre-champs pour faire voir sur les visages l'horreur qu'il nous laisse imaginer. Le voile est alors sur l'action et non plus sur le visage, ce qui permet une jouissive prestation d'acteur.
Ainsi tous les procédés sont bons pour nous faire partager l'horreur tout en nous la suggérant. On film l'horreur sur un visage qui regarde hors-champs sans livrer le contre-champs. On fait entendre les cris, on zoom sur les regards affolés, on chorégraphie des effets de foules en fuite. Sans jamais montrer le moindre requin.
Le meilleur procédé, dérobé aux Sueurs froides d'Hitchcock, c'est le travelling compensé qui fait ressentir la stupeur et la peur subite de Martin Brody découvrant l'irruption du requin dans le contexte de plage tranquille. Toujours sans montrer le requin.


Plutôt que le montrer, Spielberg choisi judicieusement de disperser ça et là des indices de sa présence et de jouer de ces indices pour créer la surprise.
Une scène voit, par exemple, deux pêcheurs tenter d'appâter le monstre à l'aide d'un jambonneau. L'appât plongé dans l'eau est signalé par une balise qui s'éloigne et emporte le ponton donnant sur la mer. L'un des pêcheurs tombé en mer se retrouve poursuivi par le ponton flottant, par le requin. Ce qui permet une scène terrifiant où le requin n'est qu'une balise et un ponton qui de bois qui se meut. Ce genre d'indices devient récurrent dans la seconde partie du film, lorsque les trois héros enfoncent des balises dans les chairs de l'animal et que les balises disparaissent puis réapparaissent, trahissant ainsi les manoeuvres du prédateur.
Mais les indices de la présence du requin restés les plus plus célèbres, jusqu'à être raillés dans le pré-générique d'Y a-t-il un pilote dans l'avion ?, ce sont les ailerons qui pointent hors de l'eau et, certes, dévoilent un peu le requin. Cette synecdoque visuelle, si elle suggère la présence d'un requin, n'en reste pas moins dans la majeure partie du film un jeu sadique entre Spielberg et son spectateur: dans un cas, il s'agit d'un faux requin utilisé par des enfants pour faire une farce et qui sert l'ascenseur émotionnel car il introduit l'entrée en scène du véritable requin, dans un autre cas, il s'agit du "bad hat" du nageur Harry - auquel fait allusion la maison de production de Bryan Singer - qui semble un aileron avant de se révéler bonnet de bain.


                                                  *Le requin dévoilé*

Enfin, lorsqu'il a bien été suggéré, lorsqu'il inspire la pire des frayeurs, le requin peut se révéler.
Au départ, il reste une forme noire qui nage dangereusement près des navires. Et lorsque Matt Hooper quitte le navire pour rejoindre sa cage à requin, il tombe enfin nez à nez avec lui: il voit la mort en face !
De sorte que le requin est physiquement présent uniquement dans les scènes où l'élément marin s'impose dans toute sa démesure aux héros, perdus au large, affaiblis, en position de faiblesse. Hooper devient la goutte dans un océan truffé de requins gigantesques et Brody reste seul dans un bateau qui prend l'eau de toutes parts et le livre par conséquent au requin. Spielberg ne dévoile son monstre que lorsqu'il ne peut plus faire monter l'effroi autrement.


Ce qui ne l'empêche pas de dévoiler des requins inattendus tout le long du film !
Revenons sur le titre français, Les Dents de la mer.
Pour Martin Brody, qui souffre d'aquaphobie, le requin à affronter, c'est l'eau. Le requin est en réalité plus que l'eau: il est l'allégorie de la terreur, de la phobie du personnage. Les Dents de la mer est le récit d'un homme qui décide de faire face à ce qui lui faire peur pour maîtriser son environnement. Les Dents de la mer, c'est Pierre et le loup réécrit en Martin et le requin. "Tuez votre requin blanc, nous conseille Steven Spielberg, alors et alors seulement vous maîtriserez votre univers !"
Mais il est des requins moins figurés et bien plus réels, nous avertit-il également.
A l'instar de son propre avocat, Bruce Raymer, considéré par les gens de son métier comment un requin et qui inspirera malgré lui le surnom que Brody, Hooper et Quint donneront au requin.
A l'instar de Larry Vaughn et de ses promoteurs qui tiennent à ouvrir les plages malgré les attaques de requins, qui pousse les gens à se baigner pour "donner l'exemple" aux touristes. Ce sont les requins de la finances et de la politiques, prêts aux pires crimes pour parvenir et/ou gagner de l'argent.
Des requins qui jettent le pauvre Martin en pâture aux journalistes indignés, aux parents d'enfants dévorés, au roublard Bart Quint, qui sont autant de chondoptérygiens et de carcharodons carcharias eux-mêmes.
Le terrible constat des Dents de la mer, c'est aussi que l'Homme peut devenir un requin pour l'Homme.


                                               **Une terreur partagée**

Anthologique, les Dents de la mer est l'une des plus grandes références cinématographiques, à défaut d'avoir occasionné une belle saga. Si ses suites sont assez déplorables à en croire le main stream, ce film est à l'origine de nouvelles trouvailles cinématographiques et partage bien des aspects avec l'une des plus grandes sagas du cinéma britannique.


                                        *La source de blockbuster*

Sorti en 1975, Les Dents de la mer est menacé d'un four total par plusieurs critiques et par deux des acteurs protagonistes. Pourtant, le film crée la surprise, lancé simultanément dans un grand nombre de salles, en plein été (saison où le public désertait les cinéma), traînant avec toute une flopée de teaser (sans compter les affiches qui mitraillent les spectateurs des mots "terror" et "terrifying") et de produits dérivés. Cela lui permet de toucher un très large public et d'engranger des bénéfices fous pour l'époque.
Il devient alors le modèle de films de l'été, précédés de monstrueuses campagnes publicitaires, suivis d'un immense marketing d'été et de rentrée et diffusé dans le plus grand nombre de salles possible. Ce type de films finit par s'imposer à différentes saisons et prend le nom dévolu à une bombe dont le rayon d'action s'étend à tout un quartier de maison.
En un mot, Les Dents de la mer crée le blockbuster !


                                                *La source  du nouveau slasher*

Dans les années 60, après le succès du Psychose d'Alfred Hitchcock, les écrans commencent à voir pulluler des films où un tueur généralement armé d'un couteau pourchasse un groupe de personnes, souvent de façon arbitraire, pour les assassiner. Si le premier du genre est parfois reconnu comme étant Le Voyeur de Michael Powell, le genre rend vite hommage à Psychose en prenant le nom de psycho-killer. Il prendra le nom de slasher au début des années 90.


Or, dans les années 70, le genre, alors âgé de dix ans, souffre de la montée des super-héros et du succès persistant de l'espionnage.
C'est alors qu'arrive Les Dents de la mer qui va redéfinir le slaher et le ressusciter en lui octroyant un nouveau psycho-killer: le tueur non-humain dont l'instinct de mort devient plus naturel, l'être se rapprochant de l'état primaire et bestial originel.
Les Dents de la mer ouvre la marche avec un requin hors-norme et sera suivi quelques cinq ans plus tard d' Alien qui troquera le requin avec un extra-terrestre !


              *007-0981: Les rapports entre James Bond et les Dents de la mer*

Etrangement, la saga des Dents de la mer entretient, sourtout à travers son premier opus, un grand nombre de liens avec la saga officielle canonique de James Bond.


On passera assez vite sur l'envie de Steven Spielberg de réaliser un James Bond qui l'amènera plus tard à réaliser Indiana Jones qu'il décrit comme la rencontre entre Tintin et 007.
On notera plutôt la présence dans le rôle du pêcheur Bart Quint, l'un des trois héros, qui apparaît initialement comme un adversaire de l'acteur Robert Shaw qui s'est fait entre autres choses connaître pour sa prestation dans Bons Baisers de Russie. Dans ce second volet des aventures de 007, il campe Red Grant, un tueur froid et méthodique au service du SPECTRE.


Il est aussi intéressant de noter que dix ans pile séparent Les Dents de la mer d'Opération tonnerre. Ce dernier, sorti en 1965, reste jusqu'en 1988 le film tourné le plus longtemps sous l'eau et met en scène Largo et Vargas, deux véritables requins humains qui possèdent une réserve de requins auxquels ils jettent mauvais éléments et espions ennemis.
James Bond se retrouve souvent face à des requins dans ce film, à tel point que Sean Connery finira par se retrouver, de façon inattendue, nez à nez avec un requin.
Plusieurs films et romans des aventures de l'espion de Fleming mettent aussi en scène des requins. Surtout dans les années 70, dans Rien que pour vos yeux et dans L'Espion qui m'aimait où l'on ressent l'influence des Dents de la mer.
En 1973, dans Vivre et laisser mourir, James Bond enquête en Jamaïque et en Louisiane pour finir livré en pâture aux requins de Mr Big. Observez bien attentivement la plaque d'immatriculation qu'Hooper récupère dans les entrailles du requin dont il fait l'autopsie:


                                             ***Sportmen's paradise
007 0 981
72 LOUISIANA 73***

Comment ne pas y voir un clin d'oeil amusé à Vivre et laisser mourir ?
007 risquant de finir dans un requin pourrait voir les entrailles de la bête comme le paradis des hommes sportifs, comme lui.
Pourtant, James Bond n'est officiellement pas mort et c'est une plaque d'immatriculation qui nous pousse à penser le contraire. Un message crypté qui renvoie à celui de la photo de l'album de Beatles Abbey road où certains voient dans une plaque d'immatriculation et le cortège des protagonistes un aveu de la mort du réel Paul McCartney qui serait remplacé par un sosie. Le même Paul McCartney à qui l'on doit la chanson générique de Vivre et laisser mourir!
On retrouve aussi la "Louisiane", décor du film, et "73", l'année du film !


En 1977, soit deux ans après la sortie des Dents de la mer, sort L'Espion qui m'aimait qui cumule les références au film de Spielberg. Un sous-marin surgit des eaux pour capturer des vaisseaux russes et britanniques. James Bond conduit une voiture capable d'aller sous l'eau et affronte le célèbre aux dents d'acier, nommé Requin en français, Jaws en version originale. Le méchant lui-même vit dans son palais sous-marin et décrit les poissons en ces termes:
" Pour moi, le monde entier est là: voici la beauté, la laideur et (désignant un requin) la mort".
Une sensation de déjà-lu ?


                                            **Un film mordant**

Les Dents de la mer est donc un film d'anthologie, essentiel pour comprendre tant l'industrie du cinéma que les évolutions de plusieurs genres et sous-genres, métamorphosés par son sillage.
Film d'ambiance et pourtant riche en références et en astuces de cinéma, il a certes un peu vieilli mais conserve une capacité à alterner calmes et tempêtes.
C'est, à ce jour, l'un des plus beaux films incarnant le sempiternel combat de l'Homme contre l'inconnu terrifiant pour trouver sa place dans l'univers.


Une mordante allégorie de la terreur !

Frenhofer
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le 24 août 2017

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