Quand l'oncle n'est pas là, les orphelins dansent... ce qui n'est jamais le cas.

Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire fait partie de la lignée d’adaptations de romans « young adult » à succès depuis le phénomène britannique nommé Harry Potter. Produite par Paramount et DreamWorks Pictures, avec le soutien de Nickelodeon, cette transposition sur grand écran semble accumuler les bons points pour garantir sa rentabilité : chapeautée par Barry Sonnenfield (La Famille Addams, Men In Black) à la production, costumes confectionnés par Colleen Atwood et direction artistique assurée par Rick Heinricks, deux habitués de Tim Burton, la photographie opérée par le sens pictural d'Emmanuel Lubezki (Sleepy Hollow, The Revenant), et avec Meryl Streep et Jim Carrey en star principale pour amener les familles dans les salles. Seulement, l’œuvre de Lemony Snicket n’est pas comparable à celle de J.K. Rowling. Si l’univers du petit sorcier sait émerveiller son audience grâce à son attrait féérique et sa dimension sombre grandissante, les périls en cascade des trois orphelins fortunés inspirent l’effroi et éveillent le sens des spectateurs à un autre niveau, brossant un portrait de société plus ambigu qu’il n’y paraît. La première adaptation de cette série de livres a eu une réception plutôt timide pendant les fêtes de Noël 2004, ce qui encourage davantage la production à annuler toute suite potentielle.


Pourtant, ce long-métrage, bien que bancal sur de nombreux aspects, mérite sans aucun doute un coup d’œil curieux. Peut-être parce que, malgré les années passant, Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire garde un habillage visuel désuet qui fait tout son charme, que ce soit les décors admirablement somptueux dans un cadre aux couleurs délavées, évoquant le mouvement expressionniste allemand au cinéma, ou les costumes typés ; la mise en scène épousant souvent un cadre large pour donner de l’ampleur à cet ensemble, mettant en relief un univers à part tout à fait charmant, entre une influence gothique et une esthétique steampunk. Peut-être parce que le long-métrage de Brad Silberling propose une inventivité remarquable, faisant intervenir une voix-off sarcastique comme ombre d’un narrateur jouant malicieusement avec sa fiction ou alterner une collection d’images sublimes peignant l’amour entre ces trois sœurs et frère condamnés à un destin funeste avec des moments portés par un délicieux humour noir comme cette séquence d’ouverture irrésistible en animation de synthèse. Peut-être aussi et surtout que ce long-métrage estampillé « pour la famille », même répondant volontiers à des impératifs exigeant un spectacle moins sordide qu’annoncé, cristallise tout de même une émotion forte, mélancolique mais poétique à travers le chemin de croix d’enfants intelligents malmenés par une vague d’adultes à l’esprit retors, souvent bien malgré eux. Cette histoire portée sur grand écran dégage une mélancolie prenante, rappelant quand il le faut le drame familial et mettant en scène efficacement un monde où dominent l’infamie et la manipulation cruelle aux proportions insolites, aussi bien qu’un souffle d’aventure enchanteur, mettant en avant la vivacité d’esprit des enfants pour se tirer de dangers impressionnants.


Adaptant les trois premiers tomes à la suite, la première excursion filmique des orphelins Baudelaire se retrouve handicapée de cette manière par un rythme inégal, succédant les événements les uns après les autres juste après la première visite dans la demeure insalubre du tout aussi ignoble Comte Olaf. Malgré des pauses mettant en avant la relation des personnages avec justesse, le film ne parvient presque jamais à rendre homogène ses scènes : l’essence dramatique de l’histoire ne s’assimile pas parfaitement avec la touche burlesque de plusieurs séquences. Le réalisateur donne l’impression à ces moments-là d’avoir répondu à une liste d’exigences, filmant Jim Carrey, parfait pour endosser la folie grotesque du terrible Olaf, se lâchant corps et âme dans un surjeu exaltant mais frôlant les limites de son personnage, enchaînant alors ses mimiques bien caractéristiques. Cependant, Silberling tire parti de cette ambiance en demi-teinte pour offrir un spectacle singulier, au ton étrange mais à la direction exemplaire, la musique de Thomas Newman véritablement plaisante à écouter et le casting professionnel tout en s’amusant avec joie ; à noter une relative bonne alchimie entre les trois jeunes acteurs vedette, spécialement la craquante Emily Browning, montrant un talent certain pour débuter une carrière dans le monde du cinéma.


Supplanté au niveau de son ton par un générique de fin en animation sublime, Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire est un film remarquablement fait, à l’écrin charmant et à la composition cinématographique teintée d'un parfum burtonien savoureux, même sans la véritable folie du réalisateur hirsute ; ce genre de divertissement hors du temps, diablement irrésistible, qui nous permet de rêver un soir de famille sans souci.

Max_Sand
6
Écrit par

Créée

le 13 oct. 2017

Critique lue 837 fois

9 j'aime

3 commentaires

Max Sand

Écrit par

Critique lue 837 fois

9
3

D'autres avis sur Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire

Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire
Nhoj
7

Critique de Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire par Nhoj

Je pense que ce film est fortement sous-estimé en général. Il est l'adaptation des trois premiers tomes (que j'ai moyennement appréciés) d'une série de bouquins pour jeunes lecteurs qui a généré...

Par

le 16 oct. 2010

17 j'aime

1

Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire
Glorb
8

Critique de Les Désastreuses Aventures des orphelins Baudelaire par Glorb

Ce film est une adaptation parfaite pour moi de la série des bouquins du même nom. Toute la série repose sur les malheurs qui ne cessent d'accabler les pauvres orphelins Baudelaire. Tout y est...

le 19 sept. 2010

10 j'aime

Du même critique

Hé Arnold !
Max_Sand
7

Série jeunesse très étrange mais originale...

"Hé Arnold !" est originellement une BD inventée par Craig Bartlett en 1986. Le grand public enfant, dont moi, a connu cet univers principalement par un dessin-animé financé par Nickelodeon et...

le 19 févr. 2014

18 j'aime

Le Grand Saut
Max_Sand
7

La roue tourne pour les frères Coen

La période de fin d'année, et en particulier les célébrations de Noël, ont été maintes fois représentées sur grand écran. Que ce soit les adaptations du fameux Chant de Noël (1843) écrit par Charles...

le 6 janv. 2020

15 j'aime

6

The Spectacular Spider-Man
Max_Sand
8

Une adaptation brillante et joueuse sur le modèle du classicisme et du modernisme

L'univers de Spider-Man en animation a toujours connu des fins ingrates à leur insu, puisque ces dessins-animés en masse se sont terminés trop tôt. En soi, un univers animé sur le célèbre...

le 8 mai 2014

13 j'aime

1