Alors oui, c’est très élégant. Délicat. Posé.
On prend son temps. On s’attarde sur les petits gestes doux du quotidien. Les petits mots. Les belles intentions que cache souvent la pudeur des gens…
Et puis tout ça s’inscrit en plus dans un cadre fait de paysages très finement dessinés, toujours baignés d’effets de lumière gracieux et harmonieux.
Tout est fait par Makoto Shinkai pour qu’on se retrouve lové dans un univers de belles attentions et de tendresse. Autant dire que les habitués du genre devraient s’y retrouver sans le moindre problème…


Seulement voilà, moi qui avais pourtant beaucoup apprécié le précédent film de cet auteur (« Your Name » pour ne pas le citer), voilà que je n’ai été que très moyennement convaincu par ces « Enfants du temps ».


L’intrigue n’a peut-être pas aidé pour commencer, ça c’est certain.
Cette histoire de « fille-soleil », ça m’a laissé un peu dubitatif mais bon… Suspension d’incrédulité oblige, j’ai quand-même accepté de faire l’effort et de m’ouvrir à la poésie proposée.
Après tout dans « Your Name » il fallait bien accepter l’existence d’une comète magique pour qu’ensuite le charme opère, alors pourquoi pas…
Seulement voilà, dans « Your Name », la comète avait permis un échange de corps entre les deux protagonistes ce qui, dans le contexte des pudeurs et autres gênes liées aux amours adolescents, offrait une situation aussi singulière que riche à exploiter.
Mais là, dans « Les enfants du temps » j’ai vraiment eu du mal à saisir l’apport de cette intrigue de fille-soleil.
A moins que…


Si on prend la peine d’analyser deux secondes cette étrange intrigue de fille-soleil, on se rend assez vite compte que tout ça ressemble quand-même fort à une sorte de déclinaison métaphorique et très édulcorée du « Manon Lescaut » de l’Abbé Prévost.
Ceux qui ont déjà parcouru ce roman s’étonneront peut-être de la comparaison et se demanderont quel rapport il peut-il bien y avoir entre d’un côté cette relation choupinette entre deux charmants adolescents innocents et de l’autre cette sordide histoire où un gentilhomme en vient carrément à prostituer son aimée afin de continuer à financer leur relation sincère mais interdite.
Eh bien justement, je vous laisse réfléchir.


Hina, c’est la fille que Hodaka arrache aux mains de vilains voyous qui étaient prêts à monnayer ses charmes… Tout ça pour être finalement amené à monnayer à son tour d’autres de ses charmes, mais ce coup-ci pour une cause bien plus vertueuse (du moins le considère-t-il) : financer leur relation impossible.
Et un petit peu comme la relation entre le chevalier Des Grieux et Manon finit par péricliter au fur et à mesure que leur commerce se normalise, Hina elle aussi va finir par s’évanouir sous les draps, rappelée - littéralement parlant - par ces nuages dont on nous fait comprendre qu’ils ne sont jamais chassés sans conséquences…


Voilà donc… Est-ce que maintenant vous voyez la métaphore que, moi, je pourrais éventuellement tirer de cette histoire de fille-soleil ?


Alors de deux choses l’une.
Soit lecture métaphorique il y a bien, ce qui donnerait pour le coup à ces « Enfants du temps » une véritable cohérence d’ensemble, en tout cas en termes d’intrigue.
Seulement le problème, c’est que dans ce cas là, il y a pour moi un véritable problème de traitement de l’intrigue, notamment dans le ton employé.
C’est trop mielleux. Trop doux. Trop choupi.


Hodaka est quand même un gamin qui vend sa meuf et qui pointe un flingue sous le nez de pas mal de gens. Seulement voilà, cette tonalité kawai l’absout carrément de tout, à tel point que ça rend totalement illisible et imperceptible les questionnements moraux que ce genre d’intrigue devrait poser.


Mais bon, peut-être que lecture métaphorique il n’y a pas.
Et dans ce cas-là ça pose un deuxième souci. Le souci de savoir où Makoto Shinkai voulait vraiment en venir avec cette histoire farfelue.
Si cette intrigue de fille-soleil est à prendre au premier degré – juste pour la beauté du geste poétique – alors ça réduit quand même toute cette histoire qu'en une très banale et très classique bluette qu’on s’est juste contenté d’enrober de douceurs fantastiques superficielles.
Parce qu’en effet, moi, des bluettes comme ça, j’en ai déjà vues mille fois.
Des Hodaka qui ne savent pas où se mettre dès qu’ils se retrouvent face à une nana, des Hina qui jouent les Mary-Sue éthérées et chastes, des Kei qui font les adultes bougons au cœur tendre ou bien encore des Natsumi qui viennent jouer les pin-up de service, j’en ai déjà vu des tas dans plein d’autres séries ou films de japanimation…
Alors peut-être que certains s’en contenteront largement, estimant que l’essentiel se trouve ailleurs – Et peut-être considéreront-ils que l’essentiel se trouvera justement dans tout ce décorum choupi et molletonné – mais moi ce n’est pas mon cas.
Pour moi, il manque clairement quelque-chose à ces « Enfants du temps »..
Et ce qui manque, en fait, c’est ce dont était justement doté « Your Name ».


Parce que oui – je le rappelle – mais moi, « Your Name », ça m’avait vraiment beaucoup plu.
Or, on ne pourra pas dire que « Your Name » était de son côté dépourvu de tous ces clichés que je viens tout juste d’évoquer. Au contraire même ! Dans « Your Name » tout autant que dans ces « Enfants du temps. », Makoto Shinkai n’hésitait pas non plus à avoir recours à toute cette flopée de stéréotypes éculés, aux scènes larmoyantes et aux chansons pop tristounes… Seulement voilà, la grosse différence c’est qu’il n’y avait pas que ça.
Dans « Your Name » y’avait aussi et surtout cette satanée comète qui savait changer toute la donne :


Parce qu’au fond, toute cette histoire de comète ce n’est qu’un moyen d’instaurer un cadre relationnel précis et original entre nos deux héros : un cadre de forte proximité intime couplé à un fort éloignement physique.
Car Mitsuha et Taki ont beau avoir partagé leurs quotidiens et leurs corps (difficile de faire plus intimiste), le fait est qu’ils appartiennent à deux milieux et surtout à deux époques différents ! Ainsi vivent-ils cette situation singulière de pouvoir partager des instants « fusionnels » mais sans pour autant être en mesure de concrétiser leur relation !
Et là où j’ai trouvé ce film très fort, c’est que cette situation qui peut paraître délirante en dehors de ce cadre fantastique, traduit au fond très bien le type de barrière que Makoto Shinkai entendait mettre en image. Une barrière troublante car difficile à signifier. Celle qui empêche de franchir le pas malgré la proximité. Cette barrière d’ailleurs face à laquelle Mitsuha et Taki vont se retrouver confrontés une fois qu’ils auront réussis à lutter contre les éléments pour enfin se retrouver. Cette barrière assez difficile à expliquer qu’est la pudeur. Cette pudeur qui bloque carrément Taki au moment d’appeler et de nommer sa bien-aimée.
Voilà une splendide représentation de ce qu’est la castration d’une relation amoureuse par la pudeur ! En cela tout le film se tient et se révèle d’une assez magnifique cohérence.


Ainsi « Your Name » savait être kawai – c’est vrai – mais il n’en oubliait pas pour autant la nécessité impérieuse de poser des barrières à la hauteur des sentiments de ses héros.
Et c’était au travers de ces modulations qui naissait une œuvre riche, forte et ambiguë.


Là, dans ces « Enfants du temps », les modulations sont bien trop lisses.
Alors pourtant c’est vrai, sur la fin Makoto Shinkai essaye d’instaurer à nouveau ce genre de modulation.


(Notamment quand Hina s’évapore, obligeant Hodaka à aller carrément la chercher au CIEL !)


Un joli jeu de chaud et froid, couplé à un savoir-faire cinématographique certain qui – seulement en cet instant malheureusement – a su me refiler quelques frissons.
C’est d'ailleurs à ce moment que je me suis dit que ces « Enfants du temps » méritaient quand même mieux.
Qu’ils méritaient plus d’amplitude.
Qu’ils méritaient plus de dureté.
Plus de sècheresse.


Parce que bon, c’est bien mignon de vouloir tout arroser de bons sentiments et de douceur parce qu’en fin de compte c’est ça qu’on veut magnifier. mais moi je trouve qu’en adoptant une telle position univoque tout le long de son film, Makoto Shinkai en est carrément venu à noyer toute sa démarche.
Donc oui, parfois la sècheresse ça a du bon.
Et pour tous ceux qui en douteraient, un certain « Your Name » vous attend pour vous en faire la démonstration…

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le 14 janv. 2020

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