S’Il est finalement assez logique qu’animation japonaise rime avec Ghibli, il serait néanmoins malvenu de la réduire à cette seule réalité : car à l’instar d’un Makota Shinkai s’y étant fait une place de choix, Mamoru Hosoda et le studio Chizu font désormais office de solides références. Gardant un souvenir épars mais enjoué de Summer Wars, la découverte originelle de Ame & Yuki, les Enfants loups abondait en ce sens, les pérégrinations de cette petite tribu atypique suscitant beaucoup de sympathie.
Faute de papier rédigé du temps de ce premier contact, voilà deux ou trois années à la louche, le temps était venu d’y accorder un nouveau coup d’œil : une riche idée au demeurant, le long-métrage m’ayant administré une claque plutôt imprévisible. À croire que j’étais tout bonnement passé à côté de son éventail d’exquises qualités, au point que son atmosphère subjuguante ne me cueille ici sans coup férir : de quoi permettre aux Enfants loups de prétendre à bien plus que de la simple curiosité, lui qui s’inscrit finalement parmi les toutes meilleures productions animées nippones.
N’ayons donc pas peur des mots, sa justesse hors-norme et ses nombreux atours formels n’ayant rien à envier aux chefs d’œuvres made-in-Ghibli : dans un registre différent bien sûr, Mamoru Hosoda ayant à cœur d’explorer ingénieusement le cadre familial, le sentiment d’appartenance et autres thématiques à la fois individuelles et collectives, mais avec pour terrain commun un respect palpable pour nôtre Mère à tous. À ce titre, Ame & Yuki fait mine de se donner corps et âme à la représentation d’une Nature somptueuse, montagnes et campagnes reculées japonaises recelant des tableaux tous plus beaux les uns que les autres.
Il n’est toutefois pas question d’accoucher d’un vulgaire album de cartes postales, le fourmillement de détails graphiques comme sonores de ces lieux immaculés s’avérant aussi inspirant que littéralement vivant : une bouffée d’air frais en bonne et due forme donc, sublimée par l’osmose délectable des éléments et la balance entre quiétude enivrante et soudaines envolées défrisantes. Quant à la place de l’Homme, l’équilibre demeure précaire mais pas impossible : au détour d’un labeur primaire ou d’une folle course enneigée, l’opiniâtre Hana peut en témoigner.
Mais pour parvenir jusqu’à ce havre de paix (ou presque), il aura fallu une issue funeste et l’impérieux besoin de sauver ce qui pouvait l’être. Dès son ouverture, Ame & Yuki déploie sans hâte ce qui fera une partie de sa sève : des personnages aux traits plutôt minimalistes, une animation fluide à souhait et, avec une savante économie de mots, de forts attachants portraits. Nichés au sein du tumulte de la métropole, Hana et le mystérieux Homme-loup composeront une bulle comme hors du temps, premier aperçu luxueux de ce que sera tout du long le long-métrage : une aura poétique aux multiples tonalités et cette fameuse justesse ahurissante d’efficacité.
C’est pourquoi, à mon sens, Ame & Yuki a tout du récit dévastateur méritoire : l’empathie prenant ses quartiers le plus naturellement du monde, le spectateur va payer le prix de son investissement aux côtés d’une Hana rapidement « seule ». C’est en séchant ce convoi de larmes inaugural que nous ne pouvons que constater l’ampleur du désastre : à situation intenable, solution radicale donc avec cet « exode urbain » qui se révélera in fine salvateur. Une renaissance en devenir pour la jeune mère affligée par un deuil terrifiant, et portant seule le poids effarant de l’éducation de deux marmots pas comme les autres : malgré tout, nonobstant leur caractère hors-norme, pareils déboires ne sont jamais que des circonstances assez communes (ce qui est fort malheureux) en soi.
Le récit use ainsi avec intelligence de sa composante fantastique, celle-ci lui servant de ressort accentuant son propos. Cette envergure ordinaire vaut alors également pour Ame et Yuki et leurs évolutions respectives, notamment de par le traitement réservé au quotidien du trio : avec tout le doigté que nous lui connaissons, Mamoru Hosoda dépeint avec une maestria rare de la tranche de vie dans son plus humble appareil, son montage parfait achevant d’en diluer la temporalité. Son astuce de transition dans le décor écolier abonde d’ailleurs en ce sens, les années s’écoulant avec une simplicité déconcertante tout en continuant d’étoffer son développement.
Sans alors négliger l’empreinte binaire que revêtent les devenirs-croisés d’Ame et Yuki, rien n’est pour autant facile : bien aidée par la cohérence et la prestance du tout, l’intrigue nous conduit finalement au-devant d’une inéluctable réalité, celle par laquelle tout un chacun ne saurait se construire seul. Et qu’il s’agisse d’une gamine visant à se fondre dans le moule afin de mieux supporter sa différence, quitte à la faire taire (pour un temps ?), ou d’un enfant-adulte libre car émancipé de la civilisation, mais prisonnier de devoirs à l’égard d’un tout le surplombant, la démonstration est définitivement brillante. Dans ces conditions, son final aux confins du « too much » est ainsi à même de faire mouche.
Avec pour nouveaux toits un pensionnat lointain et d’insondables forêts sauvages, ces derniers ont finalement quitté le nid. Reste Hana, et le sentiment de s’être accompli à travers ses bambins, ce qui nous serait difficile d’y contrevenir : car nous aurons nous aussi pleuré de tristesse comme de joie, éprouvé cet indescriptible attrait pour la rudesse du travail manuel, ressenti la caresse unique des éléments et la chaleur d’une humanité pas si irrécupérable que cela. À l’aune de ce maelström de peines comme de bonheurs crédibles, Ame & Yuki, les Enfants loups vaut bien ses louanges, lui qui se sera qui plus est sublimé au travers d’un lyrisme formel jouissif.