Il y a certains cauchemars dont on préfère ne pas se réveiller, et nous laisser emporter par la vision terrifiante qui nous accable - tout en sachant au fond qu’à un moment donné cela prendra fin.
Or la pertinence de Children of Men, c’est de nous faire croire que, malgré les procédés hyperboliques de la tragédie et de la terreur employés à souhait jusqu’à la nausée (anarchie régnante au milieu d’un système ultra-oppressif, attentats quotidiens, humanité vouée à une inéluctable perte, perpétuelle guerre civile, tirs de tous types de armes venus de toute part à n’importe quel moment, …), tout cela est potentiellement réel, pouvant donc nous arriver si l’on reproduit certaines erreurs du passé (les camps, etc) et ignore des problématiques actuelles (environnement, solidarité entre les peuples, etc). La preuve : cela a déjà commencé et existe déjà dans notre monde tout sauf fictif.
Une fois passée cette barrière de l’invraisemblance, on dérive dans un espace du chaos, où règnent la ruine, la cendre et le sang, proche du règne animal par sa sauvagerie, sa cruauté, sa loi du plus fort, véritable terrain miné dépourvu de zone de sécurité, lieu de la peur et du tremblement, miroir grossissant aussi affreux que terrifiant de notre époque, le tout sous un ciel indémêlablement grisâtre, dystopie parfaitement construite par Cuarón dont le travail de décor est tout simplement époustouflant, tout comme la mise en scène, incroyable, contenant des plans séquences d’une rare virtuosité, le tout rappelant les plus grands metteurs en scène de l’histoire du cinéma (comment ne pas évoquer Kubrick et Full Metal Jacket surtout, avec cette scène finale précédant la fuite dans la barque?).
Caméra à l’épaule, le cinéaste mexicain, partagé entre les influences américaine et européenne veut, en nous conduisant comme un reporter sur les scènes de guerre, nous faire éprouver la destruction au plus près, sentir le souffle de la mort le long de l’oreille. Sans lésiner sur les effets spéciaux, dont le but est plus de renforcer la dimension réaliste que de créer une ambiance fantastique, ni sur une action foisonnante agissant sur le spectateur qui ne peut plus détourner les yeux comme un puissant opiacé, Cuarón fait indéniablement dans le spectaculaire (dans la tradition des Spielberg, etc.), tout en introduisant une réflexion pertinente quoique excessivement dramatique sur l’humanité.
Un film choc, dérangeant et magistralement dirigé.