LES FLEURS BLEUES (titre original Powidoki, un temps nommé Afterimage), dernier film du cinéaste polonais Andrzej Wajda, décédé le 9 octobre 2016, suit les dernières années de la vie du célèbre peintre avant-gardiste Władysław Strzemiński, dans la Pologne d’après-guerre. Un contemporain de Chagall, Kandinsky ou Malevitch qui était considéré par ses étudiants à l’École Nationale des Beaux Arts de Łódź comme le grand maître de la peinture moderne. On connait l’attachement du réalisateur pour son pays, la mise en perspective de ses personnalités (L’homme de marbre) ou les révélations quant aux événements controversés (Katyn). LES FLEURS BLEUES ne déroge pas à cette règle de vie cinématographique. Son propos étant de saisir toutes les réactions déclenchées par le refus absolu du peintre de se conformer aux exigences esthétiques du Parti Communiste.


LES FLEURS BLEUES plonge le spectateur dans la triste vie quotidienne derrière le Rideau de Fer et montre précisément la façon dont les acteurs d’une dictature agissent, y compris pour faire plier les artistes. On les voit clouer au pilori le peintre contestataire, et le fait qu’il soit estropié depuis la Première Guerre mondiale ne le sauve nullement. Il est harcelé, mis au ban de la société. Non seulement il est empêché de créer, mais le Ministre de la Culture et la police le privent de travail, donc de bons de rationnement et de nourriture. Les scènes de destruction de ses œuvres présentées dans le musée sont symboliquement fortes et d’une extrême violence. Andrzej Wajda donne à voir de façon réaliste le parcours jusqu’à la déchéance et la mort de l’artiste. Il dépeint une ambiance, une tension et une brutalité verbale et physique terrifiantes. Il rappelle ainsi au spectateur le résultat de l’aliénation des hommes face à un pouvoir politique tout puissant devenu omniscient. Et pourtant, bien qu'on suppose que c’était le but du réalisateur, Władysław Strzemiński (interprété avec justesse par Bogusław Linda) ne suscite pas vraiment l’empathie du spectateur. Car si l’artiste charismatique est encensé et reconnu, l’homme est présenté sans nuance, comme une grande gueule égoïste, bornée, orgueilleuse, obsédée par un art au dessus de tout, en dépit de tous.



"LES FLEURS BLEUES interroge de façon complexe sur l’art comme outil de résistance"



Ses amis, ses étudiants plaident sa cause et se mouillent pour lui, sans qu’ils en soient véritablement remerciés. Mi-homme, souffrance ambulante, il ne parvient à transmettre ses émotions qu’au travers de son art. Le réalisateur ne juge pas utile non plus d’évoquer les raisons de sa séparation avec son épouse mourante, la sculptrice Katarzyna Kobro, que l’on ne voit jamais. Quant au rapport plus que distant que le peintre entretient avec sa jeune fille Nika, il fait froid dans le dos et renforce l’idée désagréable qu’un artiste peut être un créateur extraordinaire mais aussi le dernier des sales types.


LES FLEURS BLEUES interroge donc sur l’art comme outil de résistance et de libération face au joug communiste. La réponse apportée par le peintre quant au prix à payer, est définitive. On n’avait jamais entendu parler de Władysław Strzemiński et on sait gré au réalisateur d’avoir réalisé un film aussi didactique. Le côté un peu abscons, voire trop "intello" du film, risque d'en rebuter certains. Les débats liés à l’idéologie artistique dans le cadre du Parti Communiste ou celles portant sur son livre La théorie de la vision peuvent en effet se révéler assez peu accessibles à un public non initié en la double matière artistique et politique. On aurait d'ailleurs apprécié à la fin du film un rappel sur les œuvres de l’artiste, dont on sait que certaines ont pu être sauvées.


Par Sylvie-Noëlle pour Le Blog du Cinéma

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le 23 févr. 2017

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