Avec Les Forbans de la nuit, Jules Dassin imprime sur pellicule tous les éléments du parfait film noir. De toute beauté, la photographie noir et blanc de Mutz Greenbaum applique l'expressionnisme cher au genre, tandis que la musique de Franz Waxman et le montage vif de Nick de Maggio et Sidney Stone précipitent le héros dans sa chute inévitable. Bien qu'à l'opposé de son travail remarquable dans La Cité sans voiles, Jules Dassin tire tout autant un formidable parti de son tournage en extérieurs : contrairement à son film précédent où il mettait en avant l'ampleur de l'architecture de New York pour en faire presque un personnage à part entière, le réalisateur ne montre de Londres que ses quartiers malfamés, ses bouges enfumés et ses impasses et ruelles sordides, asphyxiant le spectateur autant que son personnage. Et quel personnage ! Entouré de seconds rôles remarquables, dont un Francis L. Sullivan particulièrement machiavélique (seule Gene Tierney, faire-valoir féminin et glamour de Fabian, se trouve réduite à montrer son joli minois), Richard Widmark brille dans ce rôle d'"artiste sans art", comme le décrit un des personnages. Presque enfantin dans sa persévérance à rester positif et idéaliste, ainsi que rusé quand il s'agit de trouver une nouvelle magouille, Widmark est d'une nervosité qui accroche forcément le spectateur, même quand il se pique parfois d'arrogance. Un loser magnifique en somme mais qui, étonnamment,
entraîne tout le monde dans sa chute ! A l'exception de Mary (mais j'ai déjà dit que le personnage était un peu vain), tous finiront tôt ou tard par sombrer dans l'échec permanent de Fabian, qu'ils le soutiennent ou non !
Ce sera la seule pointe d'ironie de ces Forbans de la nuit profondément désespéré, parfait prototype de film noir classique. Une sorte d'adieu à Hollywood que dût quitter Dassin pour cause de maccarthysme et qui, après cette réussite, enchaînera sur Du Rififi chez les hommes, davantage tourné vers la modernité.