Douze ans après son galop d’essai sur La Dernière Maison Sur La Gauche et après trois films aux qualités très variables, Wes Craven livrait en 1984 sa contribution majeure au cinéma d’horreur, un film qui marquera fortement les décennies à venir, imposant son boogeyman au rang d’icône superstar du genre horrifique.
Et pourtant le pitch de départ semble au premier abord calqué sur les grandes lignes du slasher : des teenagers découvrant gentiment les joies de la puberté tombent un à un sous les lames d’un croquemitaine assoiffé de vengeance, les parents d’Elm Street l’ayant envoyé six pieds sous terre une décennie auparavant. Mais c’est le mode opératoire du tueur qui fait la différence : Freddy tue ses victimes dans leur sommeil, les rêves devenant son terrain de chasse. L’occasion de cauchemars funèbres et chargés d’idées visuelles pour un onirisme qui n’a que rarement été aussi malsain et marquant au cinéma.

En plus du choix plus qu’avisé de Heather Langenkamp dans le rôle de Nancy, personnage féminin aux antipodes des potiches sans cervelles hantant le genre, Wes Craven peut aussi s’estimer heureux d’avoir révélé Robert Englund (déjà au casting du Crocodile de La Mort) à l’époque connu comme Willy, le gentil alien un peu demeuré de la série V. Dans la défroque de Freddy, le visage défiguré par les maquillages de David Miller (inspiré de photos de grands brulés), la réalisation se gardant bien d’en dévoiler trop, Englund incarne à la perfection ce personnage repoussant et terrifiant et cela dès sa première apparition. Un effort particulier a également été fait sur les répliques du tueur d’enfants, toutes aussi minimalistes qu’efficace dans le sordide. On se souviendra ainsi longtemps du « I’M Your New Boyfriend Now, Nancy ».

Pour sa petite légende personnelle, Wes Craven se plait à raconter que ce Nightmare On Elm Street lui fut inspirée d’un fait réel découvert à force d’éplucher les rubriques de faits divers les plus sordides avant de tomber sur cette histoire d’une personne décédée dans son sommeil après avoir été victime pendant plusieurs nuits de violents et terrifiants cauchemars. Le réalisateur aurait rajouté à cela quelques éléments tirés de ses propres cauchemars et Craven devait avoir à l’époque des expériences oniriques particulièrement violentes tant la profusion de détails angoissant et l’originalité de la réalisation à l’écran du lent glissement de la réalité aux rêves restent aujourd’hui encore très marquants. Que ce soit Tina réveillée en pleine nuit par un caillou jeté à la fenêtre, parodie de rituel amoureux débouchant sur quelque chose de bien malsain, ou Nancy se réveillant dans un cours d’histoire bercé par le discours de plus en plus hypnotique et flippant du professeur, ce premier Freddy fait grimper la tension, accumulant les images de plus en plus inquiétantes, jusqu’aux apparitions quasi-cathartiques du tueur défiguré. La mise en tension est aussi maitrisé de bout en bout par le score de Charles Bernstein, ses quelques notes de claviers immédiatement identifiables et sa comptine pour enfants revisitée pour annoncer la venue du croquemitaine.

Comme il continuera de le faire pour ses prochains films, Wes Craven met en scène une cellule familiale fragilisée et de laquelle l’héroïne devra s’affranchir dans la douleur pour pouvoir survivre au monde extérieur. Pour une première, le réalisateur y va franco: en plus d’un père flic (John saxon) tout juste bon à se servir d’elle à son insu pour appâter un présumé meurtrier, la mère de Nancy, sévèrement alcoolisée, se résout à droguer sa fille pour la faire enfin dormir. Avec ses portraits de parents coincés dans un déni total de la réalité, le refus d’affronter le passé devenant concrètement dangereux pour leur progéniture, Les Griffes De La Nuit se charge d’un sous-texte politique puissant et écorchant le moralisme hypocrite d’une certaine Amérique WASP. Un sous-texte qui reste bien évidemment universel. Freddy s’introduit littéralement dans le rêve américain pour devenir l’incarnation vicelarde et toute-puissante de l’hypocrisie d’une société qui refoule un passé de plus en plus difficile à faire passer à la trappe de l’histoire.

Mais tout cela ne serait rien sans la capacité de Wes Craven à insuffler un suspense intenable et lié à la capacité de ses personnages à rester éveillé, un assoupissement fortuit pouvant se révéler fatal. Une tension ici allant crescendo et d’autant plus désespérée que jusqu’au bout le boogeyman aux griffes d’acier semble invincible. Sur bien des points et malgré quelques concessions aux producteurs (la scène de la « fontaine de sang », quand même devenu culte mais tellement en décalage avec le reste, et cette dernière minute pour faire plaisir aux producteurs), ce premier Nightmare On Elm Street n’a toujours pas été égalé. Un vrai grand classique des années 80 alors que son récent remake semble déjà oublié.

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Auteur : Wesley
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le 31 déc. 2012

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