Quelques mois après l’impressionnant « Dunkerque », sorti le 19 juillet 2017, voici qu’est annoncé, pour le 3 janvier 2018, le nouveau film de Joe Wright, « Les Heures sombres ». Jolie coïncidence, qui permet au spectateur, encore tout commotionné par le dernier opus de Christopher Nolan, de remonter le cours du temps, en trouvant ici à la fois comme la préquelle et l’autre face de « Dunkerque ».


Préquelle sur le plan chronologique, puisque le biopic s’ouvre début mai 40, alors que l’Angleterre vient de limoger son Premier Ministre et de faire appel, pour assurer cette fonction, au très modérément apprécié Winston Churchill. Mais il faut bien un homme fort - même s’il est loin de faire consensus, ne serait-ce que dans son propre camp -, pour faire face à Hitler, qui étend son armée, vient d’envahir la Belgique et menace toute l’Europe occidentale. Du fait de cette expansion, trois cent mille soldats britanniques sont confinés dans la poche de Dunkerque, acculés à la mer, et bien près de ne jamais revoir leurs altières côtes.


Et autre face car les « heures sombres » sont celles qui furent témoins de ce dilemme : abandonner ces hommes, du fait de la supériorité harcelante et incontestable de l’armée allemande ; ou bien - solution préconisée, mais longtemps bien solitairement, par Churchill - tenter une percée évacuatrice par voie de mer, en distrayant l’attention de la Luftwaffe et en l’envoyant vers Calais, encore défendu par quatre mille Anglais ; un calcul cyniquement mathématique préférait cette soustraction humaine plus limitée à celle, massive, qui ne manquerait pas de se produire en cas de renoncement à Dunkerque. Pour permettre l’évacuation de ces soldats, il fallait mobiliser les civils et obtenir d’eux qu’ils s’élancent sur les flots dans leurs petits bateaux de plaisance ou de pêche. Ce serait l’opération « Dynamo ».


Dans des teintes qui correspondent au climat annoncé par le titre, dans des boyaux souterrains, une « war room » ou un Parlement confinés, et par le truchement d’une caméra très mobile, qui dit l’urgence de l’action et le fait que, même si l’on ne bouge pas, la situation se modifie et l’étau se resserre, le film accompagne cette lutte acharnée, argumentative, presque folle, tant elle semblait perdue d’avance, menée par Churchill, afin d’obtenir l’adhésion de l’armée puis du Parlement, sans oublier celle du Roi. Le montage est efficace. La musique presque constante (trop?), de Dario Marianelli, mais supportable parce que sachant par moments se faire plus discrète, joue sur la répétition angoissante du métronome, qui presse le temps, à force d’interdire son oubli. La politique, ses doutes, ses discussions, apparaissent ici dans toute leur noblesse et les camps affrontés des Parlementaires font soudain autant frémir que des armées en marche, libérant toute leur puissance de charge humaine... Nul besoin, dès lors, d’images de combats, pour faire éprouver les enjeux de la guerre. Là n’est pas la moindre des prouesses opérées par Joe Wright.


Que dire, enfin, de la prestation de Gary Oldman, métamorphosé par le fard en Churchill marmonnant, mais capable aussi bien de déployer une faconde digne héritière de Shakespeare, lorsqu’il s’agit, en un final flamboyant, de voler au secours de l’Ile ancestrale et de ses alliés... C’est, par la même occasion, une page de notre Histoire qui voit ses détails sauvés de l’oubli et portés à la connaissance du plus grand nombre.

AnneSchneider
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le 8 déc. 2017

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