Nous sommes en septembre 2004, débarquant tout juste de ma province natale je piaffe d'impatience sur le pavé parisien en me rendant dans l'un des rare cinéma français diffusant "Infernal Affairs", film Hong Kongais écumant les festivals depuis presque 2 ans et précédé d'une excellente réputation. La sortie était presque inespérée, la distribution en salle fut laborieuse, les spectateurs ce jour-là étaient quasi absents... mais, au final, ce fut une claque assez magistrale. Pourquoi je vous dit ça ? Pour bien faire comprendre qu'Infernal Affairs est un film que j'aime énormément et que j'avais découvert bien avant sa sortie dans les salles françaises. Un amour qui éveilla naturellement la méfiance (pour ne pas dire plus) en entendant parler d'un remake, surtout lorsque ledit remake débarque 2 ans à peine après la sortie française et américaine. Pourtant "The Departed" a balayé tout cela et s'impose comme un excellent film.

La raison est toute simple : The Departed n'essaye pas de singer Infernal Affairs, si la plupart des rebondissements principaux sont présents ils ne sont pas du tout traités de la même façon. Les séquences les plus fortes de l'original ne sont pas reprises, on pense par exemple à l'incroyable scène du plâtre qui, dans la version américaine, est bien plus anecdotique. L'élève s'affranchit donc du modèle pour développer son histoire autrement, une variation autour d'un même thème et non une simple photocopie labellisée yankee.

Scorsese transforme le jeu du chat et de la souris initial en fresque, comme à la grande époque. La retenue glaciale de l'original fait ici place à un style outrancier et lyrique. Il y a par exemple des éléments d'Infernal Affairs II qui sont incorporé directement au récit pour lui donner une ampleur différente. Le réalisateur est ici parfaitement à l'aise. Certains diront qu'il se contente de "faire du Scorsese" mais comment le lui reprocher tant sa mise en scène est réussie ? En quoi avoir du talent et un style inimitable est-il un défaut ? Toujours épaulé par l'incroyable talent de sa monteuse Thelma Schoonmaker il déroule son histoire et ses personnages avec une vivacité et une fluidité exemplaire. C'est nerveux, c'est viscéral, ça dure 2h30 mais ça passe tout seul. Les 20 premières minutes sont d'une puissance incroyable, la séquence chez la psy en triple montage parallèle est superbe, le dialogue sur les rats est un modèle de tension... Martin Scorsese enfile les séquences percutantes comme des perles et prouve qu'il en a encore sous la pédale. Le directeur d'acteur qu'il est n'est pas mort non plus, Nicholson cabotine un peu mais ça fonctionne, Matt Damon colle parfaitement à son rôle mais c'est surtout DiCaprio qui bouffe l'écran tout du long.

L'anecdote veut que Scorsese n'ait pas vu Infernal Affairs avant de tourner The Departed, c'est assez difficile à croire tant sa version évite tous les pièges de l'adaptation sans intérêt. Ho bien sûr le court épilogue du film est certainement de trop, mais il ne suffit pas à démolir le spectacle intense qu'on nous propose au court des 150 minutes précédentes. Martin Scorsese reste un réalisateur hors pair, maîtrisant l'image autant que le storytelling et nous propose ici un remake "parfait" en se réappropriant le matériau de base pour en offrir une vision complètement différente : plus longue, plus grandiloquente, plus rock and roll (une fois encore chez Scorsese l'utilisation de la musique est fabuleuse) mais tout aussi réussie. A ceux qui ont vu Infernal Affairs, vous pouvez parfaitement dévorer ce remake. A ceux qui n'ont vu que The Departed, il est encore temps de découvrir l'original.
Vnr-Herzog
8
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le 6 janv. 2014

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le 7 janv. 2014

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