"La banlieue", ce concept brumeux auquel on associe une vision. Elle converge vers la fureur, la désespérance et l'indignation. Au niveau du son et de l'image, on est servi : les émeutes de 2005, les discours enflammés d'une partie de la classe politique ou les vidéos de bavures policières. C'est d'ailleurs de là que tout est parti pour le réalisateur Ladj Ly. En 2008, il filmait l'arrestation violente d'Abdoulaye Fofana par les forces de l'ordre. Une simple vidéo qui contribua à éclairer les citoyens sur une réalité souvent occultée par la sphère médiatique, et permettre la tenue d'un procès contre les agents responsables de ces actes de sauvagerie. C'est également le point de départ des Misérables.
La référence à Victor Hugo n'est évidemment pas anodine. Le célèbre romancier a effectivement une partie de son œuvre phare dans le quartier de Montfermeil (où se déroule le film du collectif Kourtrajmé). Mais le parallèle touche évidemment à son sujet même, les populations étant toutes aussi délaissées aujourd'hui qu'il y a 150 ans dans la prose de l'écrivain.
L'histoire du film écrit par Giordano Gederlini, Ladj Ly et Alexis Manenti trouve sa source dans le réel. Et son ambition est d'immerger le spectateur dans la situation inextricable dans laquelle habitants, jeunes et policiers se retrouvent coincés. Pour ceux qui s'attendaient à un parti pris en seront pour leur frais, la seule ligne tenue s'avère être celle du milieu. La meilleure position pour capter le quotidien des enfants, des gardiens de différents groupes, les rondes de police. Mais aussi le seul angle possible pour rendre compte de l'horreur quand les choses dérapent...
Filmé à vif, avec une caméra à l'épaule nerveuse mais lisible, et agrémenté de sublimes plans au steadicam, Les Misérables atteint un degré d'immersion époustouflant, quelque part entre Training Day et le cinéma de Michael Mann. Une chose rendue également possible grâce à l'investissement grandiose des comédiens, tous prodigieux. Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga sont terrassants d'énergie et d'émotions. Impossible de ne pas parler du jeune Issa Perica qui crève l'écran, et je n'occulterai pas les prestations brillantes de Steve Tientcheu ou Almany Kanoute.
Des images fortes, Les Misérables en contient une myriade. La plus parlante reste peut-être cette introduction, prenant place à la victoire des Bleus lors de la Coupe du Monde 2018. Comme il y a 20 ans, ces instants ont une place forte dans l'identité nationale. C'est aussi pour l'amertume qui s'y rattache. Parce qu'à défaut d'être réellement unis tous ensembles, ce genre de moments a le mérite de nous l'avoir fait croire pendant quelques minutes. Hélas, tout reste à faire. L'équilibre de surface est toujours au bord du précipice. Tombera, tombera pas ? Ça dépend de nous. Les Misérables représente peut-être une nouvelle étape vers la prise de conscience, ce qui suffit déjà à en faire un très bon film.

ConFuCkamuS
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le 20 nov. 2019

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