On attendait tous les Misérables, véritable carton du dernier festival de Cannes. Un peu comme Parasite (décidément bon cru ce Cannes 2019), Les Misérables est un drame social poignant comme peu de personnes ont réussi à faire avant lui.
Ladj Ly, membre de Kourtrajmé (elle- aussi une nouvelle galaxie de talents), avait déjà fait ses preuves avec des documentaires passionannts sur les bavures policières dans les années 2000 et début 2010, et réussit enfin à réaliser un premier film ambitieux, après avoir mis 10 ans à le faire.
On peut dire que Ly a réussi l'impossible, on a presque l'impression que c'est déjà son 3e ou 4e long- métrage tellement il est bien maîtrisé.
Les Misérables, chronique sociale d'une bande de policiers dans une cité à Montfermeil dont l'un est nouveau, est surtout le portrait dur et sans concessions d'une réalité sociale, le témoignage brut d'une violence symbolique banale et brutale qui sont dans les quartiers. Les Misérables fait évidemment effet miroir avec La Haine, le grand film sur les banlieues dans les années 90, qui dénonçait déjà les débuts d'une misère économique et sociale et d'une pauvreté latente dans les quartiers populaires.
Mais Les Misérables va plus loin, surtout avec un propos d'urgence qui fait froid dans le dos : les cités, les "grandes tours" et HLM des banlieues pauvres de Paris et d'autres grandes villes sont laissés à l'abandon, ignorés, bafoués, dont les flics peinent à faire régner l'ordre. Le film va donc droit au but et nous dépeint un univers dur et sans espoir, où la pauvreté est partout.


Déjà, les Misérables est un tour de force technique. La cité est parfaitement mise en scène, les cadres sont magnifiques et très efficaces, de même que le montage est très bien ficelé, fait bien monter les séquences de tension et permet de moments poétiques assez inoubliables, de même que la photographie est de très bonne tenue et les lumières transparentes donnent un ensemble très réaliste au film.
Si le scénario tourne autour des policiers, plusieurs autres personnages gravitent dans la cité et on se prend d'affection pour eux, notamment les jeunes qui sont un élément central du film. Car si le film ne fait pas de cadeau, c'est grâce à son rythme "jeune" et son ambiance rebelle et qui sent la poudre : tout va vite et l'ambiance d'urgence est très bien rendue. Même si il y a absence de musique, il y en a quelques unes qui rendent bien les moments importants du film, marquant une gravité bien trouvée.
Mais je trouve que les gros points forts du film sont évidemment les acteurs, tous bien très bien interprétés et très bien dirigés. Que cela soit les jeunes, les policiers, ou encore tous les seconds rôles, ils semblent tous "habités" par leur personnage. On pourrait évidemment sortir du lot la performance grandiose d'Alexis Manenti en flic ripoux magnifique, mais tous les autres sont très crédibles et très bons.
Le second point très fort, c'est évidemment le message du film. Ly transmet un message de tolérance, de diversité, de pardon, mais aussi de dénonciation de la haine, des inégalités, des bavures policières, et de la pauvreté, grand sujet. Mais là où le scénario n'est pas très fourni, l'ambiance tendue et ce message nous permet de s'investir complètement dans l'histoire, notamment grâce au fait que les policiers sont des hommes comme des autres et qui peuvent blesser, mais qui subissent aussi la misère des quartiers.
Il y a aussi cette fascinante description de la banlieue populaire comme on en fait plus trop désormais, passant d'une cité plutôt sympathique en début de film à un horrible vase clos apocalyptique sur la fin, mettant encore plus l'accent sur le fait que même si le quotidien peut avoir de jolis moments, les enfants et les grands sont "exilés" dans leur cité.
Seul petit bémol : quelques ventres mous au milieu du film (les gitans je dirais), et quelques scènes sur la fin qui auraient pu être coupés, de même que le climax final fait un peu "too much", mais bon c'est vrai qu'une fois transporté on aurait aimé voir une autre fin !


Ladj Ly, et son césar du meilleur film, le montre déjà comme un grand bonhomme du cinéma français, et on espère voir très vite son prochain film. Un film coup de poing aucunement misérabiliste, mais qui décrit avec une justesse folle la cité française dans son ensemble, et qui ne donne aucun coupable. Le coupable, on le sait déjà, c'est la pauvreté. Un futur film culte, et un chef d'oeuvre incroyable d'intensité.

Mathieu_Renard
9
Écrit par

Créée

le 5 mars 2020

Critique lue 165 fois

Matt  Fox

Écrit par

Critique lue 165 fois

D'autres avis sur Les Misérables

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

Les Misérables
guitt92
5

La haine c'était mieux avant

"Les misérables" est certes un constat d'urgence, un geste politique important qui mène à une conclusion pessimiste et sombre, beaucoup plus qu'il y a 25ans. OK. Mais je suis désolé, ce n'est pas du...

le 20 nov. 2019

124 j'aime

23

Les Misérables
Velvetman
7

La Haine

Ce n’est que le deuxième jour du Festival de Cannes 2019. Cependant, un souffle de fraîcheur surgit précocement. Les Misérables de Ladj Ly fait l’effet d’un immense coup de boutoir aussi rare que...

le 13 nov. 2019

88 j'aime

1

Du même critique

Jurassic Park
Mathieu_Renard
10

Welcome to Jurassic Park !! - J'ai dépensé sans compter - Tout le monde s'en fout... - J'en ai marre

Un soir de 2002. A l'aube du DVD et la fin des VHS pourris, mon père me prend à un vidéoclub (temps déjà révolu) la VHS de Jurassic Park. Je découvre pour moi ce qui va être un des meilleurs films de...

le 30 nov. 2014

8 j'aime

3

Interstellar
Mathieu_Renard
10

Waow. Une claque.

Après le dernier plan final, Interstellar se termine. Quelques personnes commencent à applaudir, applaudissements des personnes à côté de moi, je commence à applaudir, applaudissements de la salle de...

le 9 nov. 2014

7 j'aime

Midsommar
Mathieu_Renard
7

Le film de l'été 2019. Etrange, malaisant, et fascinant.

Ari Aster, que tout le monde connaît maintenant car il est le réalisateur d'Hérédité il y a à peine un an, revient avec son second film Midsommar, un film sur un festival bien particulier d'une...

le 17 juil. 2019

5 j'aime