Franchement, au vu de la plupart des critiques, je m'attendais à pire (les mauvaises critiques ont donc du bon, parfois ;-)).
Non que ce film soit réussi, faut pas exagérer non plus, mais il n'est pas si mauvais - à commencer par le pauvre Russell Crowe, déglingué à tour de bras, et que je n'ai pas trouvé franchement si atroce. Déjà, il ne chante pas si faux ; bon, par contre, il chante fort, tout le temps, partout, même et surtout quand la scène exigerait de la finesse et de la retenue. Là où il semble sortir de piste, c'est dans sa dernière scène, mais ce n'est pas de sa faute, c'est la chanson originale qui est horrible - et je le pense depuis que j'ai découvert la comédie musicale en français, ce qui remonte donc.
Puisque j'en suis au casting, j'y reste : il est très inégal, et laisse une seule prestation s'en distinguer : celle d'Anne Hathaway, unanimement et justement saluée (ainsi que récompensée d'un Oscar). Le rôle de Fantine est finalement assez court, mais puissant ; c'est sans doute ce qui la sauve de l'impression plombante qui se dégage des interprétations de ses petits camarades, régulièrement frappées de lourdeurs et de maladresses qu'on peut, à force, imputer au réalisateur - j'y reviens dans un instant.
Hugh Jackman sait chanter, ce n'est pas un scoop ; mais son Valjean souvent bourrin ne fait pas mieux que le Javert de Crowe. De ce point de vue, l'affrontement est équitable.
Quant aux petits jeunes, les révolutionnaires - Eddie Redmayne et cie -, ils maîtrisent bien la mâchoire serrée et l'oeil larmoyant, mais à part ça... Cosette enfant est bien mignonnette, adulte elle est transparente. Amanda Seyfried fait ce qu'elle peut pour sauver Eponine, mais seul son côté chouiner ressort, alors que la fille des Thénardier a aussi un foutu caractère, totalement dissous ici.
Tiens, les Thénardier, pour finir : dans le musical, ils apportent une touche humoristique bienvenue, joyeusement fous, grivois et délicieusement immoraux. Dans le film, Helena Bonham Carter et Sacha Baron Cohen semblent sous l'éteignoir, comme si on leur avait interdit d'exprimer leur capacité naturelle à la dinguerie - qualité dont ils disposent pourtant l'un et l'autre en quantité industrielle.
Alors, quoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ? Hé bien, en dépit de son ambition manifeste, je crains qu'il ne faille accuser Tom Hooper des maux qui frappent son film. Visiblement pas à la hauteur, il dévisse sur au moins la moitié des grands moments musicaux, perdant tout sens de la mise en scène pour se contenter de plans serrés tremblotants sur ses héros (mais pourquoi, pourquoi cette caméra à l'épaule omniprésente ? Ca a un sens, de filmer caméra à l'épaule, c'est pas juste pour faire jeune et dynamique, bon sang !!!)
Résultat : le film manque totalement de souffle, de grandeur, de tout ce qui fait la puissance époustouflante du roman de Victor Hugo. Les personnages sont transparents (Gavroche quasi inexistant - mais c'était déjà le cas dans la comédie musicale), les décors largement numériques d'une laideur consommée, les scènes d'action d'une platitude consternante.
Ne nous y trompons pas : la comédie musicale est réussie ; en tant que telle, sur scène, elle fonctionne diablement, et offre une version alternative du chef d'oeuvre de Hugo tout à fait honorable, souvent émouvante et capable de saisir la force, la diversité et la virtuosité du texte d'origine.
Vouloir la transposer à l'écran était peut-être juste une mauvaise idée - à moins que la mauvaise idée s'appelle juste Tom Hooper... Mais je ne suis pas sûr que d'autres réalisateurs, plus chevronnés, plus talentueux, auraient pu s'en sortir mieux en gardant le parti pris de chanter pratiquement tous les dialogues, exercice ô combien délicat quand on recherche dans le même temps réalisme et crédibilité.