Ce film, on voudrait l'aimer, car chacun d'entre nous a un personnage des Misérables en tête. Qui ne connaît pas, ne serait-ce que de nom, ce fameux Jean Valjean ? N'associe-t-on pas tous, que l'on ait lu le livre ou pas, le prénom de Cosette à l'image d'une gamine exploitée ? Les misérables, c'est une partie de l'inconscient collectif français. Hooper, en s'attaquant aux Misérables, s'attaquait donc à une partie de notre patrimoine culturel. Et hélas, le résultat est plutôt décevant. Le casting était des plus prestigieux : Anne Hathaway, Hugh Jackman, Helena Bonham Carter, Russel Crowe, Amanda Seyfried, Sacha Baron Cohen... Tom Hooper s'assurait déjà un succès populaire, d'autant plus que faire chanter des vedettes sans doublages, et les faire chanter aussi bien, cela donne matière à respect. Les acteurs sont à la hauteur, Hathaway et Jackman livrant des prestations particulièrement poignantes : pour en arriver à un tel degré d'implication, ils ont dû se donner corps et âme. Le film, avec de telles performances d'acteurs, recelait donc d'un potentiel assez grandiose. D'autant plus qu'Hooper peut déjà se vanter d'avoir réussi à donner une ambiance à sa fresque. Il y a bien une aura, quelque chose d'à la fois austère et oppulent, une atmosphère très singulière, déroutante, qui aurait pu être véritablement traumatisante si elle avait été mise en valeur. Et pourtant, le film est un pétard mouillé. Les misérables a la force de toutes ces superproductions américaines, il a cette grandeur et ce rayonnement. Le potentiel épique du film était véritablement incroyable, il n'y a qu'à voir la scène d'ouverture et la scène de fermeture, qui sont prenantes et qui nous insufflent ce souffle épique par lequel on aurait aimé être habité tout du long. Comment expliquer alors qu'avec tous les moyens qu'on connait au cinéma américain pour transcender le spectateur, la sauce ne prenne pas, et que l'on reste mitigé devant l'écran géant ? Le problème semble résider dans la mise en scène. Les acteurs sont plus qu'investis, les décors sont sublimes, mais il y a un problème. Hooper semble ne avoir réussi à accorder ses violons : il sait filmer les grandes scènes collectives, ces scènes phares de l'histoire des Misérables et de l'histoire de France, mais échoue à nous toucher réellement quand il rapproche sa caméra. C'est un film à taille « surhumaine », qui n'arrive pas à nous faire rentrer dans l'empathie. Les scènes qui nous transportent le plus sont les scènes de furie collective, pour l'emphase qu'elles contiennent. Mais d'un point de vue plus individuel, lorsque l'on se rapproche, tous ces personnages pourtant mythiques, cette Cosette, ce Marius, et même Jean Valjean, nous restent finalement étrangers. À force de sur-esthétiser, Hooper a presque fait passer les héros de l'histoire au second plan. En fait, le film est inégal : il sait filmer la communauté, le collectif, mais n'arrive pas à filmer l'individuel sans tomber dans la grossièreté ou la froideur. Ainsi, le passage qui a rendu le personnage de Gavroche mythique passe inaperçu dans une scène trop rapide et brouillonne, c'est alors un des plus grands moments de fiction du patrimoine culturel français qui tombe comme un pavé dans la marre. On aurait voulu s'en émouvoir, de cette scène pourtant déchirante, mais on a à peine le temps de s'y attarder que la caméra est déjà partie loin, ailleurs. Car voilà le deuxième problème majeur : je n'aurai pas imaginé dire cela un jour, mais le film manque cruellement de temps mort. Il n'y a aucune hiérarchisation entre les scènes en termes d'intensité. Hooper prend le spectateur en otage tout du long, en ne lui laissant pas une minute de répit. Comment pouvoir être bouleversé par une scène, si les scènes à vocation bouleversantes se succèdent sans cesse ? À vouloir trop nous toucher, Les misérables fini par nous lasser. Cette ambiance déroutante et intéressante se transforme vite en un trop-plein de sentiment : trop de piété, trop d'effets de caméra, trop de musique, trop de chanson... On frôle l'overdose, et c'est extrêmement dommage. Ce qui semble manquer au film, étonnamment venant du réalisateur du Discours d'un roi, et bien c'est vraiment la subtilité. Peut être sommes-nous égoïstes, et peut être ne voulons-nous pas laisser les américains adapter un monument de notre littérature ? Certains diront peut-être que pour s'atteler à une telle tâche, il eut fallu avoir un rapport plus intime à la France ? Je pense que le problème réside surtout sur les surprenantes lacunes émotionnelles du film. Avec un potentiel pareil, on aurait voulu en ressortir les tripes retournées. Le tout se clôt sur une scène d'autant plus frustrante qu'elle est superbe : ce film aurait pu être grand.
Anna_M
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le 13 nov. 2014

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Anna_M

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