Sa force et la limite est d’être un pur divertissement.

LES NERFS À VIF, 13ème film de fiction de Martin Scorsese, poursuit le virage vers le cinéma populaire, commercial et divertissant entamé avec l’ultra-jouissif Les Affranchis.
Scorsese dessine toutefois dans LES NERFS À VIF l’un de ces portraits psychologiques dont il à le secret, et dont Robert de Niro semble être le seul capable d’en exprimer toutes les facettes. L’acteur interprétera donc Max Cady, dans une performance autant physique qu’intellectuelle; un personnage qui se définit à nouveau par l’obsession.
Après l’obsession de trouver sa place dans un monde vicié (Taxi Driver), l’obsession pour la réussite dans New York, New York, celle pour sa femme Vickie dans Raging Bull, ou l’obsession causée par un complexe d’infériorité dans La Valse des Pantins… Dans LES NERFS À VIF, cette obsession se fait presque exclusivement fonctionnelle. Elle sert avant tout un script malin, nous exposant via la psychologie, toutes les facettes d’une vengeance. La réussite du film est de nous inciter à déchiffrer ses personnages via leurs actions et réactions face à l’obsession. Max Cady personnifiant celle-ci, devient alors un personnage d’autant plus emblématique; Du cinéma de Scorsese, ou du cinéma tout court.


Une grande partie du plaisir ressenti face à ce NERFS À VIF provient de l’empathie maintenue par Scorsese et De Niro envers ce personnage: Max Cady est par exemple défini avec précision et charisme des les toutes premières minutes du film, si bien que cela parvient à nous justifier la plupart de ses actes, si répréhensibles soient-ils.
À contrario, Scorsese n’a aucune sympathie pour le « héros » Sam Bowden/Nick Nolte. Le réalisateur s’amuse au contraire, en montrant cette violence que Bowden provoque plus ou moins malgré lui, à déconstruire le mythe de la famille (comme dans Les Affranchis, mais à un niveau bien plus intime).


Scorsese fait également jouer les antagonismes entre ces deux personnages pour accentuer l’intensité de ce duel anti-manichéen : Bowden, l’avocat chevronné représente ainsi une sorte d’instinct (de survie, paternel, de reproduction) lorsque Max Cady qui passa 14 années en prison, fascine par son pragmatisme et son intelligence.
D’ailleurs, Max Cady rentre clairement dans cette catégorie de géniaux « méchants de cinéma », tels le Tom Ripley de Plein Soleil (& remake), ou le Joker de Nolan. Des bad guys ayant en commun cette constante longueur d’avance psychologique sur le « héros », et par extension, sur le spectateur.
On regrettera simplement que dans sa conclusion, le film délaisse les jeux de manipulation pour verser dans un spectacle certes impressionnant, mais légèrement hors-sujet.


LES NERFS À VIF ne fonctionnerait par conséquent pas sans son casting. Si l’on a déjà évoqué le génie de De Niro, Nick Nolte impressionne également en homme rattrapé par ses erreurs – tout en intériorisations. Jessica Lange, malgré son personnage un peu sacrifié, reste très classe. On retiendra quand même Juliette Lewis, 18 ans à l’époque, jouant à la perfection cette ado paumée mais pas tant; un personnage à double facette (comme les autres): ingénue et manipulatrice.


LES NERFS À VIF, enfin, est le remake du Cape Fear de 1962 avec Robert Mitchum et Gregory Peck. Il tend également vers le thriller psychologique à forte tendance Hitchcock-ienne. Les citations sont d’ailleurs assumées par Scorsese. déjà, par la présence de Mitchum et Peck, puis par les références purement audio-visuelles au maître du suspens. Jeu sur les contrastes et couleurs par là, travellings compensés par ici, reprises d’images iconiques (travestissement, jumelles, corde à piano, etc.) ou encore bande son par Bernard Herrmann.
Plus qu’un simple opportunisme, on y voit un des motifs du cinéma de Martin Scorsese, celui de l’émancipation des grands artistes d’avant lui, via la personnalité forte de son propre cinéma (réalisme, mise en scène racée, obsessions personnelles).
Si cela était déjà repérable dans New York, New York, qui inscrivait une tragédie Scorsese-ienne au cœur d’un hommage au Music Hall,au Jazz et à Powell/Pressburger… L’orgueil d’un artiste par rapport à ses illustres influences était carrément le sujet du génial La Valse des Pantins.
Loin de ressortir comme négatives, ces influences transcendées façonnent un film unique, une réappropriation de motifs issus de l’inconscient collectif via une relecture personnelle. Comme Tarantino après lui, et de très, très nombreux autres.


LES NERFS À VIF concentre donc beaucoup de ces motifs émaillant la filmographie de Scorsese.
Psychologie, obsession, Robert de Niro, hommage orgueilleux, violence & déconstruction du mythe de la famille… Toutefois, sa force et sa limite est d’être un pur divertissement. Ainsi, si auparavant les thèmes suscités ÉTAIENT les sujets de son cinéma, ici ils sont à chercher en filigrane du récit – celui-ci étant le moteur du film au delà d’une certaine profondeur. Au final, on retiendra surtout l’emblématique Max Cady/Robert de Niro, comme l’un de ces méchants vraiment méchants mais qu’on ne peut s’empêcher d’adorer.


LES NERFS A VIF a été chroniqué dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Martin Scorsese par le festival Lumière 2015

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le 4 nov. 2011

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