Tout tient dans cette citation de fin de documentaire, de Paul Nizan, en désignant les bourgeois, les "chiens de garde" des années 30, et par extension, les grands penseurs qui véhiculent l'info :
"L'écart entre leur pensée et l'univers en proie aux catastrophes grandit chaque semaine, chaque jour, et ils ne sont pas alertés.
Et ils n'alertent pas.
L'écart entre leurs promesses et la situation des hommes est plus scandaleux qu'il ne fût jamais.
Et ils ne bougent point. Ils restent du même côté de la barricade. Ils tiennent les mêmes assemblées, publient les mêmes livres. Tous ceux qui avaient la simplicité d'attendre leurs paroles commencent à se révolter, ou à rire."

Ce documentaire met en lumière les dysfonctionnements d'une presse muselée par son appartenance à de grands groupes industriels d'une part, la collusion assez dramatique entre les "stars de l'info", qui se clientélise au travers de "ménages" (présentation / animation de meeting / mise en vente de produits phares d'entreprises, moyennant rémunération), qui fréquente les mêmes lieux, sort des mêmes écoles (HEC, ENA) et pire, se marie avec les dirigeants politiques ou de grands groupes industriels.
Ockrent et Kouchner, Baudoin et Marie Drucker, évidemment Anne Sainclair et DSK.

Le documentaire montre bien la récupération permanente de l'info et le problème de pertinence de l'info qui en découle. Et le sujet reste particulièrement d'actualité à l'heure ou Mediapart vient d'être condamné à de graves sanctions financières pour avoir mis au jours les manoeuvres scandaleuse de cette classe dirigeante... Soigneusement éludée par les mass médias.
Aux travers d'exemples précis, on découvre aussi la régularité des interventions d'une petite poignée d'intervenants permanents, qui vantent contre vents et marées le capitalisme, même quand la crise frappe ou que le "peuple" se comporte de manière étrange. Quelle idée de saccager des usines quand on veut la fermer lorsqu'elle est rentable.
On taira aussi certaines infos du groupe Bouygue sur TF1 quand on a des problèmes de construction de la structure en béton de la centrale nucléaire de Flammanville, etc.

Le documentaire pousse un peu plus loin le livre de Serge Hallimi et donne surtout une démonstration visuelle, sans démagogie, sans prosélytisme. La preuve en image.
La démonstration est structurée, facile d'accès, là où le livre de S. Hallimi est écrit avec un vocabulaire plus recherché et où l'argumentation fait référence au gouvernement Balladur. L'info y est plus dense et moins facile d'accès.
Mais un bémol toutefois. Là où je suis d'accord avec la récupérations de certains phénomènes, on devine plutôt qu'on ne voit la mécanique de leur mise en place. Hallimi le démontre mieux dans son livre.
Lorsque les médias ont commencé à mettre en avant ces idée de "crise", d'éducation des masses, de l"insécurité", c'est après l'échec justement de ces intervenants permanents sur ces questions, (Alain Minc, Elie Cohen, J. Attali ou Bodet) et non pas de manière un peu fortuite.
C'est vraiment lorsque les grandes chaînes télé, radio, presse écrite, ne pouvaient plus éviter le problème des grèves à répétitions, des violences dans les banlieues ou du rejet massif du capitalisme en général que les même mass medias ont contourné le problème.
Le seul exemple clairement mis en avant est l'échec de cette bande de trous du cul devant les ravages de la crise des subs primes, qui a par effet dominos touché le secteur automobile.
Quelques mois avant que la crise ne touche la France, on voit Alain Minc se gargariser avec un de ces invité (lui aussi permanent) que le marché a absorbé la crise, en se régulant automatiquement.

La gravité de la situation montre aujourd'hui plus tristement qu'hier que l'information en France est muselée, alors même qu'on vante les mérite d'un modèle économique à bout de souffle. Celui-là même qui permet une durée de vie de moins de cinquante-cinq ans pour les hommes issus de la classe ouvrière Britannique...
On veut bien voir la toute puissance du capitalisme, mais pas l'impact sur les hommes.

Un autre point pour lequel j'ai apprécié le documentaire, c'est la mise en lumière de la durée dans le temps de cette mascarade. Depuis l'ORTF, où Alain Duhamel vendait déjà sa poudre de perlinpinpin, les deux auteurs montrent à quel point les têtes d'affiches de l'information ne bousculaient pas l'ordre établi.
Ce qui au départ était une imposition du ministre Peyrefitte va céder la place à une censure beaucoup plus sournoise, celle de l'argent, pourtant décriée lors de la loi sur l'indépendance des médias sous Mittérand. (qui a fait au passage la gloire de la Radio NRJ, quand on sait ce qu'elle est devenue...)
On voit aussi que les journalistes vont souvent être contraints de poser des questions délicates, mais soit ils organisent de faux débats (le passage est croustillant), soit ils se perdent en mille excuses pour surtout ne pas blesser la personnalité prise la main dans le sac.
LE champion toute catégorie est bien Alain Joffrin, qui, obligé de parler du scandal de l'immobilier du Président Chirac, ne sait plus comment formuler une question gênante, et y parvient finalement, après 1'02'' de torture grammaticale.

Le livre expliquera plus facilement ce point et soulignera que Duhamel à l'époque tirait à la courtepaille avec ses collègues pour savoir qui poserait les questions embarrassantes et pourrait donc être mis en balance dans sa carrière. Il précisera aussi que les questions étaient de toute façon transmises à l'avance lors des débats politiques.

Je terminerai en disant que j'ai bien aimé la dynamique du film, la grande efficacité de la démonstration. Mais je citerai aussi Edwy Plenel, dans le Droit de savoir, qui montre que le journalisme d'investigation, même mis à mal n'est pas mort, car il y a toujours des gens pour qui l'info authentique est capitale :
"La question de l'information, avant de devenir un enjeu professionnel ou une affaire économique, est au coeur de la vitalité démocratique elle-même."
C'est également lui qui cite un autre auteur, Albert Londres, qui, dans "Terre d'ébène", dénonçait déjà l'ordre établi avec ses exaction coloniales en Afrique occidentale : Travail forcé, violences physiques, racisme latent... Nous sommes en 1929...
Alors même si aujourd'hui j'ai honte en voyant ce que la justice, soi-disant indépendante, fait en condamnant Mediapart à une mort certaine pour avoir dérangé cette caste cynique et intouchable de dirigeants, je me dis qu'il y aura toujours des gens courageux pour reprendre le flambeau.
amjj88
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le 4 juil. 2013

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amjj88

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