(Les nuits fauves, Cyril Collard, Drame, 1992)


        « Il y a une ville autour, il y a la fin du jour, il y a un cœur qui bat, il y a ça. Je n'veux pas mourir ce soir ; je n'veux pas mourir ». Prenez ces quelques paroles de « Je ne veux pas mourir » de **Vincent Delerm**, ajoutez-y les paroles des « Nuits fauves » du groupe Fauve, et vous avez à peu près tout saisi du film de 1992 : « Les Nuits fauves » de **Cyril Collard**. Un film sans concession avec du cœur, du ventre, des tripes, une frénésie de vivre, ignorer les barrières quand on sait qu'on est condamné injustement et bien avant son tour.
L'histoire, c'est celle de Jean (Cyril Collard), un chef opérateur, d'une petite trentaine d'année, avec une belle gueule de rebelle, un anneau dans l'oreille et une veste en cuir. Il aime les garçons, mais pas que. Il tombe sous le charme de Laura (**Romane Borhinger**), jeune femme de 17 ans qu'il rencontre lors d'un casting, et déjà leurs échanges scriptés marquent la tension passionnelle qui naît entre les deux. Plusieurs fois, ils se revoient, apprennent à se connaître, et finissent par coucher ensemble. Ce qu'il ne lui dit pas tout de suite, c'est qu'il est séropositif, car il ne l'accepte pas. Dans le même temps il vit une autre histoire avec Samy (**Carlos Lopez**), un rugbyman que l'on voit au fil du film glisser vers un groupement d'extrême droite, des skin-heads, des ratonneurs de bougnoules.
Ces trois personnages sont le symbole des années 80. Nous sommes en 1986, ils sont les personnifications des deux maux qui bousculent la France de cette décennie : d'une part, la découverte et les ravages que causent le sida en France et particulièrement dans la « communauté » homosexuelle et d'autre part un racisme ultra-violent qui ne se cache plus. Ce film montre une société en transition, et donc en crise, car s'exprime en son sein différentes « communautés » qui demandent à être entendues et leurs opposants qui vont déchaîner leur violence en réaction à ces revendications légitimes. Le portrait qui est fait de la « communauté » homosexuelle de cette époque est absolument bouleversant. On y voit le personnage d'un travesti gouailleur, style **Arletty**, qui nous explique ce qu'est la souffrance, et qu'il l'a vécu au plus profond de lui. Ce sont aussi des gens qui se cachent dans des endroits crasseux, sombres pour vivre leurs ébats dans une forme de clandestinité sale, honteuse. Les scènes de sexe entre homme se passent dans le noir, dans les ombres, et donne l'impression de voir vivre une colonie de cafards, telle que le réalisateur pense qu'ils sont perçus par la bonne société à la sexualité socialement acceptable pourvu qu'elle se passe dans la pénombre, dans une chambre aux draps propres, aux rideaux tirés entre un mari et sa femme ou des amants « officiels » que l'hypocrisie fait qu'on se les cache.
C'est un film puissant, sans concessions, qui dit ce qu'il a à dire, mais qui n'est pas, selon le réalisateur, un film sur le sida. Il a raison, ce n'est pas le cas, mais son personnage est ce qu'il est parce qu'il nie sa maladie, parce qu'il n'accepte pas qu'elle fasse partie de lui. Le réalisateur est le personnage, car tous deux réfutent la présence de ce mal. Cette adaptation du livre écrit un peu plus tôt par Cyril Collad lui-même est une réussite, parce qu'il y a eu une productrice, **Nella Banfi**, que l'on aperçoit dans le film qui a cru en ce projet, parce que c'était Cyril Collard. Elle a senti, même s'il ne savait pas toujours dans quelle direction il allait, qu'il fallait lui faire confiance. Elle a eu raison de prendre ce risque, parce qu'un premier film obtenant une véritable reconnaissance de la critique, près de 3 millions de spectateurs avec un sujet si crûment abordé, ce n'était pas gagné. L'histoire de ce film est tragique sur la pellicule, mais pas uniquement. Le **8 mars 1993**, « Les nuits fauves » reçoit 4 Césars dont : « meilleurs 1er film », et « meilleur film ». 3 jours plus tôt, Cyril Collard mourait de la maladie que son personnage ne voulait pas voir.
Un premier film magistral, dans lequel un homme qui s'adonne à tous les excès se trouve libéré quand ils croisent l'apparente pureté de cette jeune fille. Elle n'en sort pas non plus indemne, détruite par celui qui voulait se détruire, mais qui a finalement compris que cela ne servait à rien, que l'on n'est pas hors du monde, mais que l'on y participe.
A n'en pas douter que Cyril Collard ait pu être une des figures de notre cinéma actuel. Romane Borhinger, dans la passion dévorante montre déjà son talent (même si au bout d'un moment, elle tombe dans l'excès, ce qui peut agacer le spectateur). On comprend que beaucoup d'acteurs ont eu peur d'accepter le rôle (**Patrick Bruel** entre autres), mais en même temps personne n'aurait pu rendre à ce point ce que voulait transmettre Collard, (9/10). Je préfère nettement cette version à la version américaine (Philadelphia), qui a voulu faire en sorte de faire un film sur la maladie qui soit en capacité de coller avec la rigueur puritaine de la société américaine, et qui finalement à perdu énormément de matière. Ils en ont fait un film plus grand public, plus technique avec une dimension judiciaire, avec un homme discriminé. Résultat des courses : 30 ans après *Philadelphia* a énormément vieillit, et montre que ce n'est pas un film aussi transgressif que ce que l'on a pu en dire, et devient presque anecdotique aujourd'hui.
Sarrus-Jr
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le 26 mars 2020

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Sarrus Jr.

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