C’est tout d’abord par son sujet, oublié des livres d’Histoire et très peu relaté, que le film marque. Ici, l’Allemagne nazie terrible, souvent dépeinte dans les films du genre comme les ennemis de tous, n’existe plus. Vaincue et affaiblie, elle n’est plus celle qu’on doit craindre, comme le montre la scène d’introduction du film : On y voit de nombreux soldats allemands qui quittent le Danemark, tête basse, sous la surveillance agressive des danois. La première apparition du personnage du sgt. Carl Rasmussen d’ailleurs, le montre en train de frapper violemment un allemand qui avait eu l’audace de garder à la main un drapeau danois, répétant avec insistance “My land” (mon pays). Les rapports de force s’inversent, c’est le Danemark qui dominent son précédent envahisseur désormais.


Cette impression s’accentue par la suite, quand pour déminer la plage, est envoyé un groupe de jeunes allemands à peine sortis de l’adolescence, maigres et enfantins dans leurs uniformes, face à des officiers danois qui ne cachent nullement leur haine et leur rancune (tout comme les autres forces Alliés, comme le montre une scène ou des officiers anglais humilient avec violence en pleine nuit un des adolescents allemands, le sortant de force de leur baraquement). On se prend d’affection pour ces enfants, qui au final sont innocents, n’ayant probablement même pas participé de manière active dans la guerre, mais doivent payer pour leur pays malgré tout. Tout comme Carl Rasmussen, personnage au départ très hostile envers les allemands et nullement sympathique aux yeux du spectateur. Cependant, il prend conscience peu à peu de l’humanité de la troupe sous ses ordres, et qu’il n’a face à lui que des enfants apeurés voulant rentrer chez eux pour reconstruire une Allemagne qui a subi autant de dommages que les autres pays et souffre des conséquences de la guerre. Cela au contraire des autres officiers présentés dans le film, qui n’hésitent pas à affamer les jeunes pour privilégier les troupes danoises.


Le sergent finit par se rapprocher de plus en plus d’une figure presque paternelle, mais toujours autoritaire, la frontière avec les rapports de grade devenant parfois mince. Les enjeux dramatiques deviennent finalement clairs, le principal étant: les membres du peloton survivront-ils à cette épreuve ?


Loin des films à gros budget traitant des sujets de guerre et après-guerre, lesquels ne manquent pas, Les Oubliés ne se posent pas en moralisateur, ne prend pas parti pour un camp ou un autre, bien qu’il est évidemment plus facile de s’attacher aux adolescents qu’aux grands officiers, et ne nous entraîne pas par la main, laissant le spectateur apprivoiser lui-même le film. J’ai, pour ma part, fait une agréable découverte en le visualisant, alors que je n’en attendais pas forcément beaucoup.


Au niveau esthétique, le film est agréable et instaure une ambiance fidèle au sujet décrit. Les couleurs utilisées sont majoritairement froides, un peu ternes et vieillies, rappelant la palette des films colorisés qui rappellent le souvenir de la Seconde Guerre Mondiale. L’image semble s’éclaircir en osmose avec les rares et fugaces instants de joies survenant, comme ce moment durant leur jour de repos ou les adolescents et le sergent disputent une partie de football sous le soleil timide. Les plans larges de la plage rappellent à chaque instant combien la tâche de la déminer entièrement est harassante et fastidieuse.


Le talent de Martin Zandvliet dans ce film reste s’exprime cependant surtout à travers sa manière de filmer les scènes de déminage intensif, qui demeure le coeur du sujet. Les plans sont rapprochés, longs et épuisants tant pour le soldat qui est en train de jouer avec sa vie, que pour le spectateur qui se prépare à ce que les choses tournent mal à la seconde. Land of Mine, de son titre international, intéressant tant pour la référence de la scène d’introduction (où le sergent crie sur un allemand), l’impression général que c’est ce que chaque danois a envie de hurler à la face des soldas allemands, que pour le jeu de mot, est presque éprouvant à regarder. La scène du suicide du jeune Ernst Lessner, peu après que son jumeau, Werner, dont il était très proche, n’ait perdu la vie sur une mine, est un intéressant contraste de douceur et de violence, plan très éloigné et entièrement silencieux.


Les rapports entre les personnages, principalement le sergent Carl et les adolescents, sont évolutifs et intéressant à voir évoluer, à travers différents détails. L’amitié silencieuse entre les jeunes garçons et une petite fille danoise vivant dans la ferme tout proche souligne une innocence fragile, désarmorçant des instants de tensins, qui est cependant envoyé valsé au plan suivant quand l’un des garçons perd son bras sur une mine. L’horreur de leur situation n’est jamais oubliée, seulement mise de côté le temps de respirer par instants.


Un reproche peut-être, serait la rapidité avec laquelle le film prend fin, lui qui jouait sur la longueur des scènes de déminage, se conclut finalement d’une manière presque précipitée alors que le sergent Carl permet aux quatre survivants (sur les quatorze arrivés) de s’enfuir en les approchant de la frontière, le film se concluant sur un échange de regard entre Sebastian et ce dernier. C’est presque comme si, à mon sens, le film se débarrassait de cette dernière partie.
Autrement, Les Oubliés demeure un film intéressant à visionner, tant sur le plan historique qu’humain.

LucilleChavaria
8
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le 6 avr. 2017

Critique lue 308 fois

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