Je pense être assez client des comédies musicales. Faire passer la narration par la chanson me convient et je peux passer un peu de temps devant un opéra. Les séquences musicales de Bollywood me plaisent souvent et les Disney sont chouettes quand leurs numéros sont travaillés. J'aime beaucoup Peau d'Âne, donc il était logique que je me penche sur le reste de la filmographie de Jacques Demy qui avait tout pour me ravir.
Dès les premières images on constate que le bougre n'est pas manchot. Son esthétique colorée pourra faire vomir des arcs-en-ciel à certains mais sa désuétude est assumée et m'amuse. J'aime ce premier ballet de parapluies et cette musique omniprésente me plonge dans un cocon douillet. Mais cette bonne impression prendra fin dès la première réplique. C'est là que je comprends que tout sera chanté. Pas les scènes qui s'y prêtent le mieux et pas pour appuyer quoi que ce soit : TOUT est chanté, même les trivialités. Le réalisateur adresse une pique envers ceux qui n'apprécieraient pas son parti-pris en convoquant un personnage qui chantonne que l'opéra ne lui plaît pas à cause de l'omniprésence du chant, mais il n'a pas compris comment intégrer son idée. Un film entièrement chanté était possible, l'opéra s'en accommode bien, mais il doit être pensé en amont comme tel et c'est là que Jacques Demy échoue complètement.
La première chose qui m'a frappé est que les répliques n'étaient pas en rythme avec la musique, ou en tout cas pas assez souvent. Pour un film musical c'est quand même très gênant. Pire, dans l'intro la musique baisse de volume chaque fois qu'un personnage parle, affichant une absence totale d'osmose entre le chant et les instruments. Rien ne cohabite, l'un doit disparaître pour que l'autre se fasse entendre. D'ailleurs les répliques ne sont pas musicales non plus, elles ne sont pas adaptées pour mettre le chant en valeur. C'est comme si le script avait été écrit avant que la décision de le faire chanter ne soit prise, cela ne prend pas.
On se demande bien à quoi sert cette démarche si, en plus de ne pas participer au plaisir musical, elle s'oppose au plaisir filmique. Les répliques perdent en naturel sans que cela ne soit compensé par la beauté du chant, les échanges paraissent faux. Les émotions les plus fortes sont asphyxiées par ce dispositif anti-instinctif par excellence, les acteurs ne s'en servent même pas pour faire éclater leur détresse. Très vite le chant ne devient plus qu'un gimmick auquel on ne prête plus attention, mais c'est bien à cause de lui que l'on a autant de mal à s'attacher aux personnages. Ces derniers sont d'ailleurs desservis par un scénario trop classique d'amour contrarié et des acteurs qui peinent à leur donner de l'éclat.
J'ai envie de louer la réalisation, ses mouvements de caméras fluides qui donnent aux scènes des airs de mini-clips, ses couleurs. J'ai envie de louer la magnifique musique qui embellit grandement le film et fait poindre l'émotion quand le reste à échoué. Mais ce reste est malheureusement ce qui prédomine et qui fait perdre toute motivation pour suivre un récit bien pauvre.