Double découverte pour moi ce lundi : la Cinexpérience et Bouli Lanners. Je pourrais appeler ça une réussite. Le film marque par une esthétique forte et assumée : on plonge dans un véritable hors-monde. Lanners assume jusqu'au bout les limites de l'histoire qu'il nous raconte : le lieu est délimité, à l'écart, les personnages sont eux-mêmes hors du monde. Il n'y a presque pas de lien avec l'extérieur, si ce n'est le patron des deux protagonistes. "Fin du monde". L'étrangeté du lieu marque, à travers ses lignes infinies, sa géométrie : les personnages suivent des lignes, des chemins, l'objectif et l'errance confondus.


Je m'installe donc mieux donc mon siège, plongeant dans un univers où la fiction s'assume pour mieux parler de nous. On remarque rapidement cette dialectique entre réalisme et inspirations symbolistes : apparition du cerf et de Jésus. La référence biblique est assumée et s'inscrit dans une logique mis poésie, mis comique de l'absurde. Mais n'est-ce pas un peu trop ? J'admets que même si le film m'a plu, on atteint parfois l'excès dans le symbole, et que le réalisateur semble avoir un peu le cul entre deux chaises, entre la mélancolie et l'absurde : je me suis demandée si le film me faisait sourire pour les bonnes raisons. Il va de soi qu'on ne peut reprocher à Bouli Lanners la polysémie de son film : mais au premier regard elle ne semble pas toujours bien assumée.


Cependant, ce savant cocktail entre humour optimiste, et réflexion existentielle semble fonctionner liés dans l'image. On peut s'attacher à ces personnages facilement, notamment le duo des chasseurs de prime. Par ailleurs, l'imbrication des histoires, des différents groupes, crée une intrigue qui fonctionne bien : les lignes se croisent, les personnages se cherchent, maîtres ou non de leur mouvement. On relèvera ce ballet des personnages entre mouvement et immobilité, à différentes vitesses : les personnages mobiles sont souvent ceux qui maîtrisent leur histoire, et la perte de mouvement devient un châtiment (divin ?). Or, le réalisateur n'est-il pas le maître qui entraîne ou non le spectateur dans le mouvement du film ?


Et on remarque que Lanners nous impose un rythme de balade assez haché : le début du film est relativement lent, bien que cela soit entièrement justifié par la nécessité d'instaurer l'étrangeté du désert, et de créer une exposition originale par l'entrée dans un lieu particulier. Le vide du lieu, le vide de l'intrigue. Lanners nous invite à prendre le temps. La relation du film à la violence passe aussi par ces effets de rythme : la violence latente s'installe progressivement, créant une tension avec le spectateur. Elle apparaît par éclats, comme un tir dans le silence, la violence accélérant le rythme par à-coups, accentuant son influence western.


C'est un film très personnel : on sent la patte du réalisateur qui nous raconte une histoire qui a un sens profond pour lui. Cependant, c'est paradoxalement ce qu'on pourra lui reprocher : le film se pose comme extérieur au spectateur, et bien que les personnages soient attachants et construits, le spectateur n'a pas sa place pour s'y identifier. L'enjeu du film lui-même demeure un peu flou. Ce n'est peut-être pas plus mal, puisque c'est ce que je retiendrais du film : un doux voyage dans l'étrange, un peu ivre, entre excès et retenue.

Créée

le 12 janv. 2016

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