Je ne savais pas que John Ford était communiste repenti

Le film légendaire qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie pour comprendre le pourquoi du comment, c’est culte. Alors c’est un film magistral, mais pas au sens auquel on s’attend. Tout le monde parle de la portée sociale, et humaniste. J’ai quelques doutes. On peut voir ces trucs là dans n’importe quel film moyen en regardant bien. On voit aussi beaucoup d’émotion à l’écran, mais est-ce un élément pertinent pour juger un film qu’on cite comme une référence? 

N’importe quel mélo à la noix peut provoquer de l’émotion. Et je trouve que Ford en rajoute des masses pour piquer le spectateur dans le sens de la compassion absolue. La famille de pauvres jetée sur la route, un tas de ferraille qui sert de toit, un nouveau genre de caravane, en allant vers l’ouest bien sûr, en Californie. Un peu comme des pionniers prennent la route vers l’ouest, toujours plus à l’ouest. L’exode qui a un côté biblique, des pauvres qui acceptent dignement leur misère, dans une arche de Noé symbolique. Avec les vieux, les jeunes, la famille, le couple d’amis, la femme enceinte, le pasteur qui a perdu la foi, l’assassin repenti, un paquetage hétéroclite, qui roule dans un vieux tacot bourré comme une tortue marine, qui balance de gauche à droite, et menace de s’écrouler à chaque instant sur la route.
"Des animaux...", comme disent les citadins qui regardent avec pitié, ces pauvres. « Misère ! Misère ! » comme disait Coluche. Là où j’ai du mal à suivre, c’est quand il peint son tableau mélodramatique de façon plus linéaire tu meurs, en essayant de m’arracher quelques pleurs. Misère. Ford, pas Coluche.


Son histoire est simple, descriptive, rien à développer. Ces gens sont jetés sur la route, mais par qui au fait ? La famille Joad est accablée, mais pas par Dieu, qui n’existe plus. Pas par le Capital qui n’existe pas. Pas par les hommes d’affaires qui n’apparaissent jamais. Pas par le gouvernement, qui n’existe pas non plus. L’Etat fédéral ? Non. Des victimes sans cause, mais dignes. Aucune cause, mais beaucoup d’effets. Ford est américain, et il ne veut pas mordre la main qui le nourrit, donc il fait semblant de critiquer les effets désastreux de la « Grande Dépression ». En fait, c’est même pas sûr, on ne cite jamais explicitement le contexte historique, c’est au spectateur de juger.


Cette roublardise rend ridicule la scène où le paysan menace le gars sur le tracteur avec une arme, et ne tire pas (?), alors que l’autre va détruire sa ferme. Ridicule. Le gars est censé être désespéré, il a tout perdu, mais reste lucide au point de raisonner, et demander où est l’ennemi, qui est pourtant devant lui, alors qu’il a une arme chargé à la main.( ?) Et le gars sur le tracteur est encore plus stupide. Aucune rage, aucune révolte, de vrais bons chrétiens de cinéma, même si Dieu est absent du film ( ?) Ford se permet beaucoup de libertés avec le réalisme social, pour lequel il est cité en exemple dans ce film. Astuce pratique pour éviter de se faire emmerder, il vide le propos de toute charge explosive, critique, ou dérangeante, et transforme le parcours de la famille Joad en…road-movie. J’ai eut l’impression de voir un road-movie avant l’heure. Et il n’y a aucune raison de se mettre en colère dans un road-movie.


Il ne se gêne pas pour prendre quelques plans à Eisenstein, et se contente de leur force graphique. Des images de tracteurs qui foncent sur le spectateur, sûr que ça a de la gueule...Plus symbolique que réaliste, plus expressionniste qu’humaniste. L’éclairage des visages, étudié pour les statufier dans la douleur, tout ça pour faire effet, encore une fois. Pour moi, toute cette émotion créé est feinte; du spectacle. Ford lui-même avoue que c’est plus l’aventure de cette famille hétéroclite sur la route qui l’intéressait, plutôt qu’une quelconque réflexion sur la Dépression. Si le spectateur est ému, cela me suffit. Le reste…Je n’aime pas ce procédé petit bras, pour faire de l’émotion à moindre frais.


Ford joue avec le pathos, (papy agonise, il va mourir. Mamy va mourir si on ne trouve pas un docteur. Et cette camionette-caravane qui menace de s’écrouler à chaque instants). On n'évite pas le mélo, tant qu'à faire... Il y a toujours une bonne âme, sur la route des Joad. Finalement, ces citadins ne sont pas si méchants…Les raisins de la colère ? La colère, c’est la seule chose qui manque en effet. Avec un titre pareil je m’attendais à du lourd de chez lourd. J’ai un mélo. Sur la route. 

La troupe de miséreux qui arrive enfin dans un Kholkoze à l’américaine. Le discours sacrificiel de Henry Fonda, à la fin (grand acteur, à la prestance magnétique). Le discours universaliste, de la mère-courage Jane Darwell; c'est tellement passe partout qu’on peut y voir tout et n’importe quoi. Aucune revendication, juste un slogan, pub, héros du pauvre. « Nous sommes le peuple ». Du marxisme dévoyé par le contexte américain, vidé de toute substance. Je ne savais pas que Ford était marxiste repenti. Sans compter cet ancien pasteur joué par John Carradine, qui donne l’impression de vouloir créer un syndicat, mais rassurez-vous, il n’en fera rien. L’honneur de John est sauf, j’ai crût un moment qu’il allait oser sortir de sa ligne droite sans issue, et s’engager réellement.

Angie_Eklespri
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le 12 janv. 2016

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