Les Tommyknockers
5.1
Les Tommyknockers

Série ABC (1993)

C'est un téléfilm américain des années 90. C'est sirupeux, on se laisse tenter comme on met du miel juste un peu vieux dans son yaourt, en se disant que ça ne périme pas.


C'est simple y'a des nappes de synthé en permanence. Le pianiste il tient l'accord tout le film, et il bouge la molette de transposition du majeur au mineur suivant que c'est l'angoisse ou pas. Des fois ça monte ou ça descend plusieurs fois dans la même minute, c'est marrant. Et l'image est toute brillante en mode soap opéra. En gros c'est Twin Peaks sans la juste mesure, les bonnes idées et les bons acteurs. J'ai pas lu le livre qui a donné cette adaptation, mais j'en ai lu plein d'autres de Stephen King. C'est d'autant plus marrant qu'on voit bien les enjeux du maître dans les différentes scènes. C'est mal transmis, mais nous on est des fidèles lecteurs alors on perce la couche des scènes expédiées pour y voir ce qu'il faut : l'enfance, l'alcool, l'imaginaire, le trou du cul de l'Amérique...


Ici c'est une petite ville dans la forêt, au pif je dirais dans le Maine, qui se met à agir bizarrement sous l'influence d'un truc bizarre, qui au départ semble plutôt cool. L'histoire d'un don dont on doit se méfier, qui joue sur l'intuition, l'inspiration, la perdition, la rédemption...


C'est un film choral. Il dure 2h45, si on apprécie les téléfilms c'est pas mal, ça prend le temps d'installer les différents personnages comme des variations de protagonistes d'autres romans de Stephen King.


Je l'ai vu plusieurs fois quand j'étais petit, je n'en avais retenu que la trame sur l'enfance, cette histoire des deux frères qui dorment dans la même chambre. L'un d'eux profite du truc cool et bizarre dans la forêt pour mettre au point de supers tours de magie. On n'est pas loin du pacte avec le diable.


Je connais bien.


Croyez-le ou non, j'ai moi-même partagé ma chambre d'enfant avec un serpent en peluche doué de conscience. Il est dans mon souvenir comme l'allégorie d'un apprentissage impertinent par le jeu, apprentissage qui prit à la puberté le dessus sur toutes les autres formes d'éducation, et qui dure encore... c'est un rapport ludique aux choses qui durera je crois encore longtemps, jusqu'à un retour à la normal que j'envisage à peu près vers soixante-cinq, lorsque je déciderai peut-être juste pour voir de devenir un adulte, histoire que ça colle avec mes rides autour des yeux.


Stephen King aime les enfants, d'une tendresse plutôt vache. Comme le dit l'intemporel tube de Patrick Sébastien :


Le petit bonhomme en mousse
Qui s'élance et rate le plongeoir
C'est comme la chanson douce
Que chantait ta maman le soir
La petite, petite marionnette
Qui s'étale et qui s'entête
C'est l'enfance qui revient
Le soir où tu as du chagrin
Quand ta vie se traîne
Quand t'as de la peine
Quand personne t'aime
Que t'as des problèmes
Quand la vie est dure
Plus d'une aventure
Rien que des blessures
Vilaine figure
Ne pleure pas
Ne t'en fais pas
Regarde-moi
Et n'oublie pas
la la la la la ...


Voilà une chanson donc censée nous rassurer les soirs de chagrin, mais qu'on imagine bien Ça nous la chanter sous une bouche d'égout un soir de pluie.


C'est que Stephen King c'est pas de la pipe, comme dirait l'autre. L'enfant c'est au fond des égouts, c'est dans un hôtel hanté, c'est en étant trahi par le Pistolero, c'est en étant ressuscité mort-vivant, c'est en se battant contre ses propres jouets... qu'il apprend que même les grands auteurs ne peuvent rien pour lui lorsqu'il referme le livre. Il referme le livre et voit ce serpent en doudoune dans le coin de sa chambre, Stephen King c'est l'art et la manière de dire à l'enfant : à toi de jouer. Ce qui peut paraître trivial si l'on ne considère ceci qu'au premier degré.


Stephen King ne leur fait pas de cadeau, aux gosses. Ils sont les victimes et les bourreaux des autres gosses, toujours en premier lieu victimes d'eux-mêmes, victimes d'une curiosité, d'une puissance latente, qui se réalise dans l'erreur et la culpabilité, Dans Ça, l'enfant fabrique le bateau qui mènera son petit frère dans l'égout. Dans Les Tommyknockers, l'enfant se consacre à la magie sur conseil de son grand-père, pour que le rêve survive... au bout de la baguette cela dit c'est le cauchemar : il fera disparaître, encore une fois, son petit frère. C'est une tragédie atavique, la réapparition encore et toujours de fantômes ancestraux qu'on ne déstabilise qu'en faisant face.


De fil en aiguille, à remonter les âges comme ça, c'est l'adulte qui semble aux prises d'une accumulation d'enfances, avec et contre lesquels il se bat. Chez Stephen King l'horreur a sa place tant qu'on refoule. Lorsqu'on s'ouvre généralement c'est le combat qui prend le dessus. Ses romans sont toujours introspectifs, il y a des motifs en italique qui reviennent comme des gimmicks, le protagoniste traîne des thèmes d'angoisses comme des grappes de boulets dans son crâne, qui s'incarnent par le fantastique, dont il doit trier les bons des mauvais fantômes.


L'alcoolisme chez Stephen King est un thème récurrent, une manière de fuir, il ne reste que le fantôme doucereux de l'alcool lui-même, qui devient parfois le seul ami. Le personnage de l'alcoolique dans Les Tommyknockers tape plutôt juste dans son premier monologue : j'ai peur d'avoir besoin de boire pour me donner du courage. Voilà que le fantôme de l'alcool rentre dans la catégorie de ceux avec qui l'on craint d'avoir signé comme un pacte... c'est le moment d'en contester les clauses.


L'horizon, alors, s'ouvre sur tous les autres fantômes que la vodka étouffait... Dans Docteur Sleep, la suite de Shining, Dany a grandi. Le personnage se défonce la tronche au quotidien, il tient de son père, mais la défonce n'est plus qu'un fantôme affectif, sentimental disons, qui perd à force de sa valeur anxiolytique. Rien n'étouffe plus assez Dany, et c'est de manière jouissive qu'on entame Docteur Sleep par une extermination vite expédiée du fantôme de la chambre 237. Dany a fait des fantômes traumatisants de son enfance des entités identifiées et indépendantes qu'il combat par l'errance, et une forme d'impertinence, c'est les effets secondaires de la perte de l'innocence.


Ça me fascine parce que c'est un procédé que j'imagine proche de l'écriture narrative, cette idée de traiter des images par le texte pour les développer, et leur faire la peau en quelque sorte, au sens où l'écriture serait une quête idéaliste qui semble toujours un peu mené à l'anéantissement des idées, et quelque part alors à une tranquillité d'esprit éphémère. L'écriture traite la pensée, tout en libérant sur le coup l'écrivain de ses pensées comme le ferait une bonne cuite. Il y a un peu de ça je crois chez les écrivains alcooliques de Stephen King, une oscillation entre deux tendances du Shining, qui parle toujours davantage de souffrance que de morale.


Quelque défaut qu'on lui trouve, la régurgitation a pour le moins ce mérite : aussi longtemps qu'on s'y adonne, il est impossible de penser à autre chose. La Tour Sombre

Vernon79
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le 16 janv. 2019

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Vernon79

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