A son premier essai, Hideo Gosha frappait déjà fort dans le genre du chambara. Dès le premier plan ce film imprime son empreinte, inspiré de Kurosawa, oui, mais poussé à son paroxysme, avec ce samouraï au chignon défait marchant de plein pied dans la boue. Gosha nous dépeint ainsi un monde sauvage où la loi du plus fort règne, remis en question par une petite poignée de paysans qui, contrairement aux films de Kurosawa, prennent leur destin en main, du moins pour un temps. L'intelligence du récit est de se concentrer sur l'attitude de ces ronins, désormais sans attaches comme leur titre l'indique, face à cette situation. D'abord observateurs ou peu intéressés, ils se laissent peu à peu gagnés par un sort qui les concernent non pas en fonction de leur classe sociale, mais en tant qu'humains, un peu à la manière d'un Sanjuro toujours du même Kurosawa.


Ainsi, Gosha a peu faire du code des samouraïs en tant que tel, bien au contraire il montre du doigt avec une grande efficacité, grâce à une narration limpide qui enchaîne les péripéties sans aucun temps mort, fruit de son travail à la télévision dont la mission première était de capter l'attention de son auditoire, l'injustice d'une administration qui se résume à préserver coût que coût l'autorité en place. Une autorité préservée dans le sang et la poussière avec une poigne de fer et un machiavélisme dénué de tout sens moral. Même un pacte entre samouraïs n'a plus de valeur dans ce monde de brutes. Or, la subtilité du récit est qu'on écarte d'un revers de sabre, malgré les traces d'humanisme de ces ronins qui avaient perçu dans cette modeste mais déterminée opposition une possibilité de changement, l'optimisme naïf qui aurait pu en résulter, comme en témoigne ce dénouement limite cynique qui coupe court à cette direction. Les femmes ne sont pas en reste, victimes d'un monde d'hommes qu'elles subissent, otages démunis ou jouets des sentiments, lorsqu'elles ne reproduisent pas entre-elles ce schéma de violence. Elles représentent aussi un dernier rempart d'espoir, du moins pour une poignée. Une sortie de secours paradoxalement vouée à l'échec du côté de l'homme, qui, semble t-il, ne peut quitter le centre de l'action sans se battre, ce qui lui permet, tout aussi paradoxalement, de valider son humanité.


Animé par une narration feuilletonesque maîtrisée, ce film propose aussi une forme aux petits oignons avec un joli travail sur l'espace de ses deux lieux principaux et sur le clair/obscur, en insistant tout particulièrement sur les rapports de force se déroulant entre les principaux protagonistes et la résultante de leurs choix, comme ces ronins d'abord à l'arrière plan, qui se retrouvent progressivement et contre leur volonté première, ces drôles de héros dépareillés finalement réunis par l'idée d'une certaine humanité qui contrarie leur je-m'en-foutisme et/ou leurs intérêts.


Bref, Gosha terminait (déjà) avec ce premier film ce qu'avait commencé Kurosawa de son côté avec qui on l'a trop souvent comparé alors qu'il empruntait une voie sensiblement différente, par le choix de réactions et d'un cadre plus réalistes que jamais, tandis que celui-là s'employait à délivrer en fin de compte une morale ou des élans humanistes plus marqués et donc éloignés de cette prise de position où la voie vertueuse ne paie pas forcément. Deux maîtres japonais néanmoins passionnants à comparer, si semblables et si différents en même temps par le déploiement de thématiques communes, du moins jusqu'à Goyokin où le divorce sera pleinement consommé.

Arnaud_Mercadie
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le 21 avr. 2017

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Dun

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