Lettre à Franco de Alejandro Amenabar porte sur une partie de l'année 1936. Le titre espagnol du film est Mientras dure la guerra, dont la traduction pourrait être « Tant que la guerre dure » ; c'est de la guerre civile espagnole qu'il s'agit bien entendu. L'allusion explicite au dictateur espagnol dans le titre pour la sortie du film en France n'est pas fortuite. Mientras dure la guerra, même traduit, aurait été peu compréhensible hors d'Espagne. Franco ne devait être que l'instrument du renversement de la République et son exercice du pouvoir être temporaire, pour la durée de la guerre civile et de « l'assainissement » de la situation. L'incarnation d'un « presidium » pour la durée de l'état d'urgence en quelque sorte.


Le souvenir de la guerre civile espagnole s'estompe peu à peu dans les mémoires, sauf en Espagne. Francisco Franco s'était imposé par une guerre civile et un coup d'Etat soutenus par Hitler et Mussolini. Il avait instauré un régime autoritaire d'une extrême brutalité, de même nature que celui de Antonio De Olievera Salazar, son homologue portugais et celui de Philippe Pétain en France quand l'occupation allemande a permis aux ennemis du Front populaire et aux cagoulards de prendre leur revanche.


Francisco Franco est mort dans son lit en 1975, à l'âge de 82 ans, après avoir gardé sous sa férule l'Espagne pendant trente-six ans. Pour les quadragénaires français d'aujourd'hui, le caudillo espagnol est mort quand ils sont nés. Pour ceux qui sont plus jeunes, cette période, dans un pays voisin de surcroît, relève quasiment de l'histoire ancienne.


Le film repose sur les agissements des militaires factieux et de leurs complices d'une part, sur la personnalité de Miguel de Unamuno, homme de lettres et recteur de l'Université de Salamanque, d'autre part.


Francisco Franco était d'abord un officier supérieur de l'armée espagnole, très conservateur et catholique, dont l'essentiel de la pensée politique était un anticommunisme viscéral et une hostilité obsessionnelle à toute idée qui réduirait l'influence de l'église catholique. Il était un monarchiste déçu qui se repliait d'instinct sur les valeurs patriotiques dont l'armée serait la seule détentrice. Franco était un homme falot, faible de son inconsistance et de son inexpérience politique ; il était le personnage dont personne ne se méfiait vraiment et derrière lequel l'extrême droite phalangiste, les fascistes, dont le regard était tourné vers l'Allemagne et l'Italie, et les nostalgiques de la monarchie se dissimulaient pour renverser la jeune seconde république.


A bien des égards, Franco fait penser à Philippe Pétain derrière qui s'abritaient les mêmes personnages dangereux. En Espagne comme en France, le prestige d'un soldat devait servir de paravent pour mieux dissimuler les agissements et les intentions réelles d'hommes qui pactisaient avec l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste. Le maréchal Pétain a longuement côtoyé Franco lors de la guerre du Rif pendant les années 20. C'était à la demande de Pétain que le ministre de la guerre André Maginot a honoré Franco en le nommant commandeur de la Légion d'Honneur et en l'invitant à visiter l'école militaire de Saint Cyr en 1930. Philippe Pétain a été le premier ambassadeur de France auprès de l'Espagne tombée aux mains de la sédition franquiste.


Miguel de Unamuno n'était pas un homme politique à proprement parler ; il se voulait davantage l'inspirateur d'un renouveau culturel. Il était d'abord un homme de lettres et un philosophe. Recteur de l'université de Salamanque, puis destitué une première fois de sa charge en 1914 et contraint à l'exil pour son hostilité à la monarchie, il est revenu à Salamanque en 1930 et a été réintégré dans sa fonction par la République. Il s'est peu à peu éloigné du nouveau régime qu'il trouvait trop pusillanime et incapable de mettre fin aux exactions de ses partisans les plus radicaux. Il a accueilli favorablement et il a soutenu le soulèvement initié par Franco en qui il voyait un sauveur de la civilisation chrétienne face au communisme menaçant, épousant ainsi les obsessions d'une époque en Europe. Il s'est démarqué, par la suite, du franquisme et des fascistes authentiques comme le général Millan-Astray ainsi que de la hiérarchie catholique qui les soutenait.


La rencontre quotidienne du professeur Unamuno avec un de ses jeunes collègues qui a été son élève et un homme d'église, pasteur protestant permet au réalisateur de partager avec le public une partie des contradictions, des craintes comme des espoirs qui traversent l'Espagne à cet instant. Son jeune collègue était un homme de gauche proche des communistes et le pasteur représentait le christianisme sous sa forme la moins conservatrice.


Le professeur Unamuno entretenait des relations suivies avec Franco et ses acolytes et, de bonne foi, pensait que l'arrestation de ses amis était un malentendu, de même que la disparition du maire de la ville ne pouvait être qu'une erreur. Il a découvert de jour en jour son impuissance face à une machine répressive implacable qui ne reculait devant rien. Le professeur n'était que la caution humaniste de la dictature militaire qui se mettait en place et dès lors qu'il est sorti du silence les masques sont tombés.


La scène d'une fête pour honorer la Race espagnole est le point d'orgue du film. Devant un parterre de militaires, de policiers et de membres de la phalange, l'un après l'autre les dignitaires du régime exaltent un nationalisme exacerbé, déguisé en amour de la patrie. Quand le professeur monte à la tribune et prend la défense des nationalismes basques et catalans, quand il dénonce les dérives policières du régime et prend à partie les silences complices de l'évêque de Salamanque, le général Millan-Astray donne le signal de la curée : « A mort l'intellectualité traîtresse ! ».


Unamuno échappe de peu au lynchage et c'est sous les hurlements qu'il est mis à l'abri par l'épouse même de Franco. Il est une nouvelle fois destitué de son poste de recteur car désormais il ne sert plus à rien.


La guerre civile espagnole est restée une blessure mal cicatrisée dans une Espagne qui ne se penche qu'avec difficultés et réticences sur ce moment de son histoire. La dictature a duré trop longtemps et est encore trop récente pour que le pays ait pu se purger de ses membres les plus actifs et s'approprier sa propre histoire. Le film de Alejandro Amenabar est un des rares films qui met en scène les luttes d'influence et de pouvoir au sein même de la junte militaire.


L'Espagne et la France. Nous avons partagé et subi le pire, mais ce sont les espagnols qui ont payé le tribut le plus lourd. L'histoire de l'Espagne nous concerne. En mémoire de ceux qui ont dû fuir leur pays en traversant Le Perthus et que nous n'avons pas su accueillir, en mémoire également de la Nueve, la neuvième compagnie espagnole de la division Leclerc, et du lieutenant Amado Granell qui sont entrés les premiers à Paris en août 1944.


La France et l'Espagne. L'histoire de notre voisin nous concerne et ce d'autant plus que désormais nous faisons Europe ensemble.

Freddy-Klein
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le 3 mars 2020

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