Lettre à Franco (Mientras dure la guerra / tant que dure la guerre)
de Alejandro Amenabar


Le film d’Alejandro Amenabar met en scène dans le somptueux décor architectural de la ville de Salamanque et de son Université quelques mois de l’été et du début de l’automne 1936 au cours desquels s’est joué le destin de l’Espagne. Au delà de la perfection un peu léchée des images et de la beauté trop contemporaine des personnages secondaires, féminins et masculins, dont on ne saurait d’un certain point de vue se plaindre, on peut louer le réalisateur pour la mise en scène des débats de la junte militaire qui porte au pouvoir, au prix d’un durcissement et d’un prolongement de la guerre civile, le moins charismatique personnage de ce quarteron de généraux, Francisco Franco. Santi Prego donne au fade et retors opportunisme du personnage une évidence qu’aucune des nombreuses biographies du Caudillo n’a réussi à exprimer aussi justement. Eduard Fernandez incarne un Millan Astray plus monstrueux que nature et si la place de deus ex machina qui lui est donnée dans la prise de pouvoir de Franco est sans doute surévaluée, le personnage qu’il crée crève l’écran et fait du colonel Kurtz / Brando d’Apocalypse Now une pâle incarnation du nihilisme haineux.
C’est donc une reconstitution historique louable que nous propose Amenabar et de ce point de vue je ne ferai pas la fine bouche.
Sur cet arrière plan historique bien brossé se greffe l’histoire d’un personnage qui a toujours été une sorte de “bâton merdeux” pour l’intelligentsia espagnole, Miguel de Unamuno, figure majeure des lettres castillanes, poète, romancier, philosophe, essayiste, intellectuel et homme politique d’envergure nationale et européenne dans les dernières années de la monarchie et les premières années de la république espagnole. Basque et historien de la langue basque mais apologiste du castillan le plus dominateur, fervent catholique en butte à une église institutionnelle et prévaricatrice étrangère à toute inquiétude spirituelle, républicain inapte à tout embrigadement partisan, le monument d’ambiguïté l’équilibriste de la pensée et l’incarnation du concept de paradoxe que fut Miguel de Unamuno ne se retrouve en rien dans le personnage clef de ce biopic raté.
Karra Elejalde ne partage avec Unamuno que son origine basque ; trop grand, trop costaud, trop sûr de lui c’est l’erreur de casting du film. Amenabar et ses producteurs ont choisi un Michel Galabru où il eut fallu un Antonin Artaud ou un Jean Louis Barrault. Le destin intellectuel d’Unamuno qui colle à celui, tragique, de l’Espagne des années 1898-1936, est ramené à l’anecdote d’un vieillard capricieux nostalgique d’un passé idyllique évoqué par d’admirables images d’une sieste ensoleillée sur fond de montagnes Cantabres.
C’est dommage car Miguel de Unamuno fut beaucoup plus et bien autre chose qu’une girouette politique et la lâcheté méprisable de ce vieillard larmoyant que met en scène Alejandro Amenabar colle peut être à l’anecdote mais elle ne peut se comprendre et s’apprécier que sur un fond d’angoisse spirituelle indispensable à la juste appréciation du personnage.
Certes on ne peut demander à un film destiné au grand public de rendre compte de la subtilité d’une pensée ou plutôt d’une spiritualité en butte à la trivialité du monde, mais sans la prise en compte de cette dimension on ne pourra jamais ni comprendre ni encore moins réhabiliter la figure de Miguel de Unamuno qui reste, en dépit de toutes ses faiblesses, voire avec toutes ses bassesses, le héraut du “Sentiment tragique de la vie”.
Souhaitons que ce film, courageux dans le panorama d’une Espagne toujours convalescente de l’atroce et trop longue du fait de ses prolongements sournois, guerre “incivile” suscite un élan de curiosité vers une littérature et une pensée, celle de Miguel de Unamuno, plus que jamais en phase avec l’inquiétude existentielle du monde contemporain.

oncle_phil
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le 1 mars 2020

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