Après son succès aux USA avec L'Ombre d'un doute en 1943, c'est avec un œuvre de commande qu'Alfred Hitchcock revient l'année suivante. Nous sommes en janvier 1944 quand le film sort, les nazis nous mettent la branlée et tonton Alfred a pour mission de contribuer à l'effort de guerre. Cependant, bien que Lifeboat soit voulu comme un film de propagande, il n'en demeure pas impersonnel pour autant, loin de là. Hitchcock nous fait quelque chose qu'il a toujours aimé et avec son style : un huis-clos.


Lifeboat est un huis-clos à ciel ouvert dont la prouesse réside sur le fait que tout se passe sur un canot de sauvetage, après qu'un obus allemand ait fait couler le paquebot américain. Aucun échappatoire, huit victimes, le cadre est minimaliste et le superficiel est littéralement jeté à la flotte (Connie perd sa caméra et sa machine à écrire dedans). Il ne reste donc que le minimum vital pour une grande tension.


Une grande tension au milieu de l'océan à cause d'un naufragé surprise : un allemand se retrouve sauvé et entouré de ces huit innocents. Des personnages malheureusement un peu trop clichés, comme avec cette Bonnie hautaine qu'aurait une tête à se faire démonter en soirées Eyes Wide Shut, avec ce mec intelligent, ce citoyen moyen, ce pauvre ect… ainsi qu'un noir. Bien qu'ils soient sans doute trop calibrés, un peu comme des mecs du Bronx, ils représentent à eux tous à la perfection l'Amérique.


Mais s'il y a bien un personnage important dans les films d'Alfred, c'est bien le méchant. Ici, l’antagoniste est donc l'Allemand, qui n'est pas à considérer à proprement dit comme un vilain. On peut juste dire qu'il est tricheur. Tricheur mais efficace. Il n'y a pas vraiment de manichéisme et c'est plaisant. Par contre on peut regretter qu'il soit plus polyvalent qu'une salle des fêtes. Il peut te gérer un gangrène, maîtriser une tempête (méga-balèze pour un film entièrement tourné en studio d'ailleurs) et rivaliser avec Bear Grylls à propos de la survie au milieu de l'océan. Tout le long du film il sera source de réflexion à propos de la tolérance, de la démocratie et de ses limites : Que faire d'un ennemi, surtout quand on est pas d'accord sur le sort à lui réserver ?


Du coup Hitchcock nous captive durant 1h30 avec un film sans grande prétention, aussi intriguant qu'il fait réfléchir sur certaines conditions, donc finalement loin d'être bateau.


Quant à la question du méchant nazi souhaité par les producteurs, Hitchcock semble en avoir fait autre chose qu'attendu. C'est un personnage fort, qu'on peut considérer comme un meneur cultivé qui vante les mérites de l'armée allemande dans la mesure où il aura longtemps su berner tout le monde. Et si ça peut paraître maladroit pour la critique de l'époque, c'est une formidable qualité pour le film, qui laisse un doute sur ce personnage, loin d'un manichéisme qu'aurait pu tout gâcher. Du coup on peut se demander : est-ce que le bénéfice du doute attribué au début est-il applicable à tout type de situation, est-il applicable à l'ennemi ? Cette réflexion arrive à bon port.


«Qu’est-ce qu’il faut faire avec ces gens-là ?» Voilà l'ultime question que le film nous pose à travers ses personnages manipulés. Ne faut-il leur laisse aucune chance comme la morale propagandiste nous le suggère ? La scène de lynchage qui représente l'union de tout un peuple, toute catégorie sociale confondu contre l'envahisseur, est aussi impressionnante que déstabilisante. Ça donne presque envie de violer des femmes de nazis.


Du coup, tout ce film ne pose-t-il pas la même question à plus grande échelle ? Est-ce que nous, démocrates d'Europe avions à être tolérants, où à éliminer le mal jusqu'au bout comme ils l'ont fait ? C'est maladroit que certains disent, je pense que là n'est pas la question, personnellement je trouve ça aussi bête que ça pose réflexion, surtout dans le contexte de l'époque. Bien évidemment que nous n'aurions pas pu nous servir des camps de concentrations sur eux en retour. C'est bête comme une œuvre de commande. Enfin comme quoi elles ne le sont pas toutes, du moins surtout pas avec celle-ci, pour preuve elle nous ara finalement tous mené en bateau

Alex-La-Biche
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le 8 juin 2016

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Alex La Biche

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