Avec le bien nommé Light of my Life, son lumineux deuxième long-métrage de fiction (après le controversé I'm still Here en 2010, qui narrait la fausse reconversion dans le rap de son complice Joaquin Phoenix), Casey Affleck signe un film profond, d'une grâce et d'une justesse absolue.


Light of my Life s’ouvre sur une séquence de 12 minutes qui étonne par sa sobriété (le film est constitué principalement de plans fixes) et sa justesse, grâce à la complicité qui règne entre les deux acteurs principaux : Casey Affleck et la jeune Anna Pniowsky. Une nuit, sous une tente, un père tente de raconter une histoire à sa fille, nommée Rag. Relecture de l’arche de Noé, cette histoire de sauvetage avant le déluge s’avère être une introduction à la fois des enjeux du film et de la relation bouleversante qui unit ces deux êtres.


Si Noé pressentait l’arrivée imminente de l’Apocalypse, celle de Light of my Life, quant à elle, a déjà eu lieu.
Dans un futur proche, les femmes semblent avoir été éradiquées de la surface du globe par une « peste » mondiale, à laquelle la mère de Rag (Elisabeth Moss) a, probablement, elle aussi succombé. Cette information qui ne nous est pas immédiatement donnée, semble faire de Rag la dernière femme sur Terre…
Ce statut l’expose à la convoitise d’un mystérieux groupe de poursuivants, instaurant une tension continue autour de cette famille luttant pour sa survie.


Traitant avant tout de l’éducation et de la parentalité Light of my Life surprend en ne tombant jamais dans les stéréotypes du film de survie ou de la dystopie racoleuse. Dans un contexte de fin du monde, dénué de toute technologie, le père tente, en effet, coûte que coûte de donner une éducation solide à sa fille, l’initiant à l’orthographe, la survie, la logique, lui inculquant des valeurs humanistes et ravivant le souvenir de sa défunte mère (via de brefs et touchants flash-backs). Mais il est constamment repoussé dans les cordes par cette enfant dotée d’une intelligence et d’une sensibilité hors-norme. Rag multiplie les questions métaphysiques sur les humains, la mort, la violence et révèle une vulnérabilité chez ce père qui peine à s’affirmer en patriarche protecteur.


Impossible de passer sous silence la performance d’Anna Pniowsky, véritable découverte de ce film. L’actrice canadienne de 13 ans, dont c’est la première expérience au cinéma dans un rôle principal, est absolument bluffante de maturité. Elle fait de Rag une enfant attachante, riche d’un monde intérieur qui semble échapper à son père, pendant qu’elle lit en lui comme en un livre ouvert. On finit même par se demander qui protège qui, au point que cela devienne une thématique inattendue de ce métrage.
Affleck dit à son sujet : « Anna est l’une de ces rares actrices qui vous rende curieux. On s’inquiète pour ce qu’il lui arrive. Elle ne donnait jamais l’impression de répéter un dialogue écrit, il semblait toujours naturel. Après notre rencontre, je voulais la voir réagir, de manière impromptue. Elle a une vraie présence. »


Se révélant très à l’aise avec la réalisation, malgré un budget limité, Casey Affleck nous offre un film contemplatif et parfaitement composé, bien aidé par le chef opérateur Adam Arkapaw (qui avait mis en lumière la mythique première saison de True Detective, notamment).
Ne cherchant pas à multiplier inutilement les péripéties mais prenant au contraire le temps de pousser chacune d’elle à son paroxysme, Affleck dissèque la relation père/fille dans un contexte où tout espoir est quasi impossible et confirme qu’il est un scénariste/réalisateur à suivre, autant qu’un acteur intense (oscarisé en 2017 pour Manchester by the Sea).


Le réalisateur confie dans sa note d’intention s’être inspiré des Fils de l’Homme d’Alfonso Cuaron. On pense également au puissant roman La Route de Cormac McCarthy qui présentait déjà les difficultés d’élever un enfant après la fin du monde, ainsi que la menace constante qui plane autour de chaque rencontre. Il montre ainsi la paranoïa permanente, la peur de l’étranger, ainsi que les recours extrêmes provoqués par ce contexte de défiance absolue.
Difficile de savoir, en effet, pour nos protagonistes, qui ont régulièrement besoin d’aller en ville ou de s’abriter, si l’inconnu qui les aborde n’est pas une potentielle menace pour Rag.
Celle-ci, constamment déguisée en garçon pour ne pas éveiller les soupçons, souffre de cette dissimulation et voudrait s’émanciper du contrôle de son père. La séquence de la découverte d’une maison abandonnée contenant des vêtements de petite fille, constitue, dans cette optique, un des points culminants de l’affirmation de son identité.


Accusé de harcèlement sexuel et d’avoir encouragé une ambiance sexiste générale sur le tournage de son précédent film I'm Still Here en 2010 (même s’il s’en était sorti avec un abandon des poursuites contre lui), Casey Affleck crée ici un monde où chaque homme est un potentiel agresseur pour une jeune fille...
Dans le regard de ces hommes, Rag est considérée tantôt comme une proie, tantôt comme une élue de Dieu, tout rapport neutre ou simplement apaisé à la femme semblant impossible.
Le réalisateur a le mérite de ne pas botter en touche, questionnant la problématique de la masculinité toxique via sa dualité prédation/protection, vis-à-vis des femmes.
Tentative de mea culpa ? Réhabilitation complète ou opportunisme ? Affleck semble, en tout cas, avoir fait du chemin en 10 ans et chacun se fera sa propre idée sur la sincérité de son changement.


En ces temps de pandémie mondiale, le film prend également une résonance étrange avec notre actualité, mettant en scène un « monde d’après » dans lequel la vie est devenue survie et tout contact humain, un risque mortel.


Light of my Life constitue, au final, une réussite cinématographique qui hante après le visionnage. Sa beauté formelle, sa lenteur et sa profondeur en font plus qu’un énième film dystopique. Il s’agit d’un appel à respecter la majesté de la Nature et à surmonter les affres de la nature humaine, afin de créer un nouveau champ des possibles.


Critique à retrouver sur Le Monde du Ciné : http://www.lemondeducine.com/light-of-my-life-critique/

Zelldevine
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le 29 juil. 2020

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