♪♫ C'est elle, c'est elle Lola... ♪♫

C'est moi, c'est Lola
Celle qui rit à tout propos,
Celle qui dit l'amour c'est beau
Celle qui plaît sans plaisanter,
Reçoit sans les dédommager
les hommages des hommes âgés,
et les "bravos" des braves gars,
Les "hourras", les "viens avec moi"
Celle qui rit de tout cela,
Qui veut plaire et s'en tenir là
C'est moi, c'est moi Lola.


Lola s'ouvre sur l'image d'une cadillac se rangeant près de la plage de La Baule tandis que s'inscrit le titre et sa dédicace à Max Ophüls. Dès le début, Jacques Demy fait coïncider une image de l'Amérique, du voyage et du retour à l'élégance d'un maître du cinéma, ce qui annonce en partie non seulement le film mais aussi la carrière de Demy. En somme, et comme nous allons le voir, toute l'oeuvre du cinéaste semble presqu'ici contenue en germe et ne demandant qu'à éclore.


La référence à Ophüls est ici loin d'être vaine puisqu'en plus d'être une admiration commune au sein des amis critiques et cinéastes des Cahiers du Cinéma (Jacques Demy étant ami avec Godard, ce dernier lui présente son producteur Georges de Beauregard qui financera ce premier film (A noter que Demy renvoie l'ascenseur à Godard avec humour puisque dans l'un des dialogues du film, Roland évoque qu'il avait un copain à Paris, un certain Michel Poiccard mais que "celui-ci a mal tourné et s'est fait descendre" ! ...Je suppose que vous situez probablement la référence), elle se retrouve à la fois citée dans certains plans du film (des résurgences du Plaisir semblent revenir ça et là), mais c'est la mise en scène de Demy qui épate et renvoie discrètement à celle d'Ophüls. Sans jamais trop le montrer, elle fait pourtant montre d'un savoir faire à la fois subtil et épatant, toujours élégante donc. Aérienne presque, à l'image du film, mi-amusé, rêveur, amer et pourtant toujours tendre. Ce qu'on retrouve aussi dans la bande originale alternant entre la gravité et le sacré de Beethoven et Bach et la musique jazzy de Michel Legrand. Un Legrand qui continuera sa collaboration avec Demy sur toute sa filmographie quasiment (Une chambre en ville, c'est Michel Colombier et Le joueur de flûte, Donovan).


C'est un film de gens qui se croisent en retours cycliques le temps de quelques jours et surtout de beaux portraits de femmes à des âges et temps différents. Lola qui veut plaire mais sans jamais blesser a été inspirée des souvenirs du cinéaste alors enfant à Nantes.


Je me souviens que celle qui était Lola et qui était une petite fille de dix ans qui habitait le même immeuble que moi prenait de l'argent dans le sac de sa mère pour m'emmener à la foire. J'avais neuf ans et après la classe on partait à la foire tous les deux. Ce sont des souvenirs impérissables. Et ça me plaisait beaucoup de faire quelque chose sur la fidélité à un souvenir, et d'y mêler ces souvenirs de Nantes, de l'époque où j'étais au collège et où je séchais les cours pour aller au cinéma... Le moment où l'on cherche sa vie, sa raison d'être. Et le film est fait d'un mélange, ainsi... (...)


Portraits de femmes et retours cycliques puisqu'à travers Lola, la jeune Cécile et sa mère se dessinent des liens et thèmes voulus par un Demy qui multiplie les échos dans son propre film. Le vrai prénom de Lola est donc Cécile tout comme la jeune fille du film. Jeune héroïne qui veut devenir danseuse (le métier qu'exerce Lola), ce que lui interdit sa mère... qui l'a probablement été (une photo en portrait que regarde hâtivement Roland). Enfin Roland était tombé amoureux de Lola quand, plus jeune, il était déguisé à une fête foraine en marin... Ici la jeune Cécile devient amie avec un marin américain de passage, va avec lui à la fête foraine, fait de l'auto-tamponeuse, du manège... A cette séquence qui semble immortalisée à jamais par un Prélude n°1 en C mineur (BWV 846) du clavier bien tempéré de Bach, le temps semble ralentir, s'arrêter. Cécile sort avec le jeune Frankie du manège et quelque chose se passe alors, de magique. Quelque chose qui tient du temps suspendu, sans doute encore plus fort que le moment où le jeune Doinel s'amuse hors de la gravité dans la centrifugeuse de la fête dans les 400 coups.


La magie dans Lola, elle est aussi dans ce noir et blanc à couper au couteau de Raoul Coutard, cette démarche de Lola, ces personnages finement écrits à l'image des dialogues dont les répliques peuvent souvent devenir cultes (Lola montrant ses cheveux : "touche, on dirait de la soie !") quand elles ne transparaissent pas d'une manière documentaire de filmer en cela limitée par le budget du film assez réduit (45 millions d'anciens francs soit 450000 francs, soit 68602 euros et 6 centimes). Une réduction qui freine les ambitions de Demy qui voulait passer à la couleur dès ce film, mettre des numéros de comédie musicale et des acteurs connus. Il se rattrapera aisément par la suite comme l'Histoire l'a montré. Le plus étonnant c'est qu'à l'époque, si Lola séduit, c'est quand même globalement un four (43385 entrées sur les quelques semaines d'exploitations).


Est-ce que le court-métrage de Godard et Truffaut, une histoire d'eau projeté en première partie n'aurait-il pas d'emblée énervé certains spectateurs n'en pouvant plus de voir encore les jeunes turcs de la Nouvelle Vague (plus qu'omniprésents de 59 à 63 avant que tout se délite complètement) et donc ensuite faussé leur jugement ?
Est-ce que Lola n'était-il pas un peu trop en avance ?


C'est sans doute ici qu'il faut chercher puisque les décennies suivantes, il fut redécouvert avec émerveillement par toutes les générations et dorénavant son éclat de diamant précieux n'en est que plus conservé jalousement par tous les cinéphiles comme un petit trésor, votre serviteur y compris.

Nio_Lynes
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le 15 déc. 2017

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Nio_Lynes

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