Grâce à Agnès Varda et Matthieu Demy, compagne et fils de Jacques Demy, Lola, le premier film de ce dernier tourné en 1960, ressort en 2012 dans une version restaurée. La redécouverte du premier des quatorze longs-métrages du natif de Nantes permet de mieux saisir comment est déjà contenu dans Lola tout ce qui constituera le cinéma à venir du réalisateur des Parapluies de Cherbourg. Une œuvre extrêmement cohérente et paradoxale en apparence, car sous des dehors colorés, légers et féériques, l’univers de Demy est particulièrement sombre : ses héros n’en finissent pas de se croiser sans jamais se rencontrer. Il faut ainsi attendre les dernières scènes de Lola pour que celle qui fut Cécile, devenue danseuse dans un cabaret de la ville et élevant seule son fils, retrouve Michel, son amant parti au loin, de retour. Entre-temps, Lola croise Roland, un ami de jeunesse perdu de vue, secrètement amoureux de la danseuse qui veut sourire à la vie, coûte que coûte. Une femme qui pense qu’on ne peut aimer qu’une fois. Si les protagonistes évoluent dans une dimension spatiale bien précise – la ville de Nantes, où le jeune Jacques fréquente dès l’âge de 14 ans le cinéma Le Katorza, comme le fait à présent le désespéré Roland -, le cinéaste ajoute aussi une dimension temporelle dans une triple représentation de son héroïne : la Lola d’hier (figurée par une jeune fille nommée Cécile qui tombe sous le charme d’un beau marin, blond et américain), celle d’aujourd’hui (magnifiquement campée par Anouk Aimée) et celle de demain dans le personnage de Madame Desnoyers, se languissant d’un amour perdu, s’occupant elle aussi seule de sa fille Cécile. La boucle est ainsi bouclée. Les films suivants de Jacques Demy obéiront au même type de construction. Avec cinquante années de recul, on peut trouver le film vieilli, daté ; le jeu des comédiens artificiel et maniéré. Si le reproche peut être entendu, il convient dès lors de l’étendre à l’ensemble de la filmographie de l’auteur de Model Shop, un film très noir dans lequel Lola apparait pour la troisième fois, comme strip-teaseuse à Los Angeles. Cependant, l’utilisation de la musique signée Michel Legrand et l’art d’une construction qui frise la perfection rendent le film indémodable, voire tout à fait moderne. Les films de Jacques Demy se singularisent par leur fluidité – caractère qui s’exacerbera dans les œuvres musicales – et par des dialogues directs et simples, allant à l’essentiel dans une exposition naïve et touchante des sentiments. Néanmoins, derrière cette apparente simplicité, se cache dans un mille-feuilles, dont on se semble jamais venir à bout, la complexité des relations humaines, magnifiées par le sentiment amoureux, dût-il être malheureux – ce qui est le plus fréquent chez Demy. Celui-ci, décédé en 1990, reste incontestablement un des cinéastes majeurs français, qui a su créer son propre univers. Lola demeure de la même façon un des très grands films chers au cœur des cinéphiles, dont quelques réalisateurs, Christophe Honoré par exemple, se réclame – les nombreux clins d’œil qui parsèment ses films sont là pour en attester. C’est un immense bonheur de revoir Lola dans cette magnifique version restaurée.
PatrickBraganti
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le 21 nov. 2012

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