Le film de Ryan Gosling présenté à Cannes en 2014 a déjà au moins le mérite de ne laisser personne indifférent. Les critiques n’ont pas toujours été indulgentes à son égard. Le problème principal de Gosling est sans doute d’avoir été un des fers de lance du club Mickey de Disney, avec les Spears, les Timberlake, les Cyrus, alors il semble difficile à certains d’accoler à son nom une étiquette d’auteur…


Pourtant, dès les premières images, dès la bande-annonce même, on sent que quelque chose est en train de se passer. Une image arty, un propos sombre. Mais le deuxième problème de Gosling apparaît là, précisément : Lost River est un film qu’on a vite fait de qualifier d’impersonnel, tant il est indéniable qu’il fait penser à beaucoup d’autres films : Les bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin en tout premier lieu avec l’ambiance aquatique et post-apocalyptique du film, Only god forgives de Nicolas Winding Refn pour toutes ces scènes au néon très analogues , ou même Blue velvet ou Mullholland Dr. pour toutes les séquences « noir » au cabaret , et on pourrait en citer d’autres comme cela, et pourquoi pas, pendant qu’on y est, Fritz Lang pour le côté très expressionisme allemand dans les magnifiques scènes à l’entrée du fameux cabaret. Toutes références bien lourdes à porter qui feraient passer Gosling pour un pâle copiste.


Lost River est donc écrasé par ses influences, mais pour autant, le film de Ryan Gosling n’est pas dénué d’atouts. A savoir, une belle histoire, un bon casting, un rythme soutenu, une esthétique marquée, une bande-son industrielle du compositeur Jonnhy Jewel (Chromatics), une belle mise en scène en somme.
La ville de Detroit en ruines stimule les velléités artistiques ; après les très belles images de Only lovers left alive de Jim Jarmusch, Lost River tire un bon profit de ces lieux devenus fantomatiques et presque abstraits. C’est un récit sombre, dystopique même, d’une société en pleine déliquescence. Comme conséquence d’une faillite économique grave, la crise des subprimes évoquée de manière succincte, la ville de Lost River se vide de ses habitants, et il se dit également que la malédiction l’a frappée suite à une urbanisation excessive et la construction d’un lac artificiel sur des pans entiers de son territoire. Selon la légende, remonter à la surface un objet englouti serait la seule manière de briser ce maléfice.


Pendant que les maisons autour de la sienne brûlent ou sont rasées à grand renfort de bulldozer par les banques désireuses de récupérer les terrains qu’elles ont saisis auprès de propriétaires étranglés par des crédits toxiques, Billy (impeccable Christina Hendricks), mère célibataire de deux garçons se bat pour garder la sienne suite à trois mois de retard de loyers. Son banquier Dave (joué par un Ben Mendelsohn une fois de plus parfait dans le rôle d’un personnage trouble à la limite du malsain) lui propose un travail dans un inquiétant cabaret BDSM. Pour l’aider, son fils aîné Bones (Iain De Caestecker, le maillon faible de la distribution, dont l’atout principal semble d’avoir une vague ressemblance avec Gosling), essaie de récupérer du cuivre dans les ruines laissées à l’abandon, mais dans cet environnement délétère, la loi de la jungle s’applique encore plus fortement, et c’est sous les menaces du très violent Bully (Matt Smith) que Bones essaie de mener son business. Ce dernier fréquente sa voisine Rat (Siaorse Ronan) en charge d’une grand-mère mutique depuis la mort de son mari (excellente Barbara Steele, qui sans aucune parole prononcée, amène par son seul nom évocateur la touche horrifique dans le film). A deux, ils essaient de rompre le mauvais charme qui pèse sur la ville.


Le scenario de Ryan Gosling, légèrement teinté de fantastique, est assez simple et limpide. La simplicité est telle que les personnages ont des noms tels que Cat (Eva Mendès dans un petit rôle en spectaculaire « scream queen » du cabaret), Rat, Bones, Bully, Face, etc. En revanche, le traitement qu’il en fait est riche, avec des effets très stylisés, tels par exemple cet hallucinant vélo en feu de Bones qui roule tout seul jusqu’à lui, ainsi que toutes ces scènes d’incendie en général, magnifiquement filmées par le chef opérateur Benoît Debie (Spring breakers, Enter the void); avec beaucoup de tension et d’angoisse également, aussi bien dans les nombreuses scènes de nuit que dans les séquences de plein jour avec un psychopathe en goguette. Le rendu est captivant de bout en bout.


Ryan Gosling n’est pas de Detroit ni même des Etats-Unis, mais le sous-texte social et les conclusions de son film ont des côtés incantatoires s’apparentant à une véritable ode à cette ville et ses habitants. Dans tous les cas, il passe haut la main le test de l’acteur devenu réalisateur, en espérant qu’il n’a pas déjà grillé toutes ses cartouches en mettant autant de (bonnes) choses dans un premier film.

Bea_Dls
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le 20 avr. 2015

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Bea Dls

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