Parenthèse de vie, Lost In Translation est un moment magique, une sorte de rêve au milieu de la longue nuit qui s'étend sur la vie des de ses deux protagonistes.


Charlotte ? Une étudiante qui vient tout juste de finir la faculté. Elle se rend alors compte de l'inutilité professionnelle de ce long apprentissage, elle se pose des questions, qui semblent insolubles, sur ses perspectives d'avenir. On la voit perdue dans ses pensées, écoutant de la musique, regardant par la fenêtre l'immensité urbaine de Tokyo qui s'étend en dessous d'elle. Elle cherche des réponses qui n'arrivent pas, tantôt dans des CD sur le cheminement prédéterminé de l'âme, tantôt dans des escapades culturelles au sein de la population japonaise. Dans ce pays lointain, dans cet hôtel au décor et à l'ambiance mélancolique, elle n'a plus que ça à faire : réfléchir.
Jusqu'à ne plus pouvoir dormir. Piégée, comme elle l'avouera elle-même à son compagnon d'infortune lors d'un dialogue d'une simplicité extrême et pourtant d'une intensité poignante. S'il n'y avait que cela...
Car l'impasse dans laquelle semble se trouver notre "héroïne" ne se résume pas à ce vide qui l'attend à l'aube de sa carrière professionnelle. Ce gouffre s'étend à son mariage déjà obsolète. Elle confessera ne pas "connaître l'homme qu'elle a épousé". Mariage précipité ? Désenchantement soudain ou progressif ? Dans tous les cas la relation avec son photographe de mari semble bien être sur le point de s'achever. Dans le cas contraire les années risquent d'être bien longues et le malheur tenace. Car ils n'ont plus rien en commun ! Lui est pris dans le tourbillon rock de sa carrière, assume ses responsabilités mais déjà la néglige. Elle, a ce côté intellectuel, parfois prétentieux de celle qui a étudié une matière quelque peu obscure pour la plupart des gens. Elle n'est finalement pas dans le concret, elle repousse la futilité, élément symbolisé satiriquement par une (autre) jeune fille blonde, actrice déchainée, creuse et superficielle. La rencontre entre les deux est révélatrice, l'actrice ne daigne lui accorder qu'un regard entre deux éclats de rire en compagnie de John (la mari de Charlotte) et n'écoute même pas les quelques mots de politesse murmurés par Charlotte. Scène d'une perfection obsédante où les gestes et les mimiques de l'étudiante expriment son dédain envers une rivale potentielle, mais aussi son agacement envers son mari qui tarde à la présenter à son amie et qui ensuite montre une possession maladroite et gênante en voulant l'entourer d'un bras étouffant, plus que protecteur et tendre.


Bob ? Un acteur désabusé, présent à Tokyo pour le tournage d'une publicité ; il préfère alors se noyer dans l'alcool au bar de l'hôtel en attendant de pouvoir quitter le pays. Sa relation avec sa femme est devenue "mécanique", ordinaire, sans aucune autre passion que celle qui les unit à leur enfant. Le problème c'est que cet enfant grandit sans son père et qu'il finit par ne plus lui manquer. Comme pour Charlotte, sa vie semble se "déliter" tant sur le plan de la vie professionnelle que sur le plan de la vie privée. La performance d'acteur de Bill Murray révèle alors le personnage, homme cynique, mélancolique, fatigué mais qui va retrouver une volonté de séduire en rencontrant Charlotte. Pourtant c'est elle qui fait le premier pas, elle lui sourit une première fois dans l'ascenseur avant de lui offrir un verre au bar.
Puis intervient la rencontre au bar, une nuit d'insomnie, et le contact s'établit à la perfection, entre piques humoristiques et partage de soucis.


L'on pourrait continuer longtemps comme cela et raconter tout le film tant chaque scène dégage une émotion puissante, qui arrache un sourire, fait monter les larmes ou nous plonge dans une mélancolie dangereuse.
En faisant un film d'amour classique dans son scénario, histoire d'une rencontre entre deux personnages déçus de leurs mariages respectifs ; Sofia Coppola a pris un grand risque, celui de réaliser un film à l'eau de rose, banal, mièvre et creux. Mais tous les écueils du genre sont évités, grâce à la finesse psychologique des personnages, aux dialogues simples mais si naturels qu'ils ne semblent jamais surjoués et superficiels. En fait Lost In Translation est un pied de nez aux comédies romantiques traditionnelles, une démonstration de ce qu'il faut faire pour raconter une histoire d'amour sans tomber dans les clichés du genre.
Et puis cela fait du bien de regarder une histoire d'amour platonique où les protagonistes se vouvoient (en VF bien sûr), où on ne les voit pas faire l'amour au bout de la deuxième rencontre (vous savez ces scènes sur fond musical où les partenaires s'ébattent fougueusement). Ici on a droit à une vraie romance au sens noble du terme, sans aucune connotation péjorative !


Pour terminer cette déclaration d'amour au chef d'œuvre de Sofia Coppola, il convient de souligner la bande originale sans fausse note, et la mise en valeur de la ville de Tokyo et du Japon, dans leurs aspects traditionnels et moderne.
Un enrobage de qualité pour deux personnages piégés dans leur propre vie :



  • "Ça s'arrange avec le temps ?

  • Non... enfin si !"

ngc111
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le 25 mai 2011

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