Loulou. Louise Brooks. Tout est là, aussi bien les qualités que les défauts du film.
Dès sa première apparition, Loulou envoûte les hommes comme Louise Brooks envoûte les spectateurs. Ses yeux, son rire, ses tenues, ses positions, son ingénuité calculée... tout contribue à en faire la séductrice par excellence. La tentatrice, autour de qui tournent et tombent les hommes. A la fois femme-enfant et vamp, elle navigue entre innocence et perversion. On la voit accomplir des actes terribles, causer la ruine des hommes, avec une candeur inouïe. Au point que la question se pose inévitablement : a-t-elle conscience de ce qu'elle fait ? De l'effet qu'elle produit ?
Parfois, au détour d'un rire ou d'un regard, on retrouve l'innocence qu'elle paraît avoir. Une seule phrase nous laissera deviner ce qui a pu se produire pour en arriver là : elle a été élevée dans les cafés ! Et cette seule phrase nous laisse entrevoir l'histoire d'une jeune fille pervertie par le monde autour d'elle. jamais le film ne la condamne vraiment pour ce qui arrive : Loulou est comme entraînée par un tourbillon, manipulée et manipulatrice, au moins autant victime que coupable.
Car, outre le portrait de cette jeune femme, le film se voit aussi comme une description d'un monde perverti, pourri, immoral. En cela, il rappelle les grandes critiques habituellement formulées contre la république de Weimar (même si le film se déroule à la fin du XIXème siècle), en particulier le fameux Docteur Mabuse de Lang.

Le problème de ce film, c'est que Louise Brooks nous envoûte tant que, quand elle est absente, le film retombe lourdement. Les scènes où elle n'est pas là semblent se traîner interminablement, tant nous, spectateurs, sommes pris dans ses filets, consumés du désir de la revoir. C'est là qu'est à la fois la grande réussite du film et son principal défaut. Les séquences où on la voit le moins (les coulisses du cabaret, le train, le tripot clandestin) m'ont plutôt ennuyé.
Il faut dire que Pabst n'est pas vraiment le plus grand cinéaste allemand. Il n'est ni Lang ni Murnau (à l'impossible, nul n'est tenu). Il sait magnifiquement bien filmer Louise Brooks ; le jeu sur les lumières en particulier est absolument exceptionnel : Loulou semble parfois rayonner ; la position des acteurs est aussi très calculée. Mais parfois, le film s'enfonce dans le grotesque et ses effets trop appuyés deviennent lourds, même pour l'époque (le muet avait souvent tendance à appuyer plus lourdement ses effets, mais là, c'est trop).

En bref, un grand film, devenue une œuvre phare du cinéma européen, un classique, mais pas un chef d’œuvre absolu.
SanFelice
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le 3 févr. 2013

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SanFelice

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