Patchwork culturel aux influences aussi variées que nos sociétés contemporaines sont complexes, Love Exposure est avant tout un film sur l’amour (et non pas d’amour), ou plutôt sur l’impossibilité de l’amour. Avec une trame catholique pour fil conducteur, où l’homme incarne le mal, mauvais par nature, et la femme le bien, le film se tisse tout entier autour de ces codes simples mais concrets, et se déroule avec une contingence vertigineuse, parfois déstabilisante, mais qui trouve sa cohérence et sa légitimité dans l’esthétique globale d’une réalisation spontanée, rythmée, moderne. Il serait fastidieux d’analyser en détail toutes les références survolées par Sion Sono, d’abord parce que je ne prétends pas toutes les maîtriser, ensuite parce que je ne pense pas que cela apporterait grand-chose à un film qui se veut instinctif, et qu’il faut aimer sans concession, ou ne pas aimer.

Love Exposure, c’est la recherche de la femme pure, semblable à la Vierge Marie, la quête d’un idéal poétique. Yu, le protagoniste, devra passer par toute sorte d’initiations, notamment l’apprentissage du péché, dont on peut retenir cette merveilleuse réplique : « Ton péché, c’est de ne pas te souvenir de tes péchés ». Yu se voit donc contraint d’explorer le péché de fond en comble, c’est-à-dire le mal, et par extension lui-même, pour satisfaire sa quête, et trouver le bien. Il devient pervers malgré lui, et maître dans l’art totalement burlesque du tosatsu, l’art du voyeurisme, qui consiste à prendre des photos sous les jupes des filles, endroit où se trouve, selon l’enseignement, la vérité, l’unique réponse à toutes ses questions. Toute la séquence, aussi grotesque que sérieuse, est portée à bon escient par un Boléro de Ravel récurrent. D’ailleurs Sion Sono, sans doute amoureux de culture occidentale, utilise toujours comme un leitmotiv, dans la plupart de ses films, quelques mesures d’un chef d’œuvre musical ou littéraire (pour Love Exposure le début du 2ème mouvement de la 7ème symphonie de Beethoven, pour Himizu le début du Requiem de Mozart couplé aux vers de François Villon), qui leur confèrent une unité dramatique intéressante.

Mais trêve de digressions, de toute façon je n’ai pas pour ambition de résumer un film de 4h en quelques lignes. Yu finit par rencontrer une certaine Yoko, sa Marie, son idéal, alors qu’il est travesti en femme (inutile d’expliquer le pourquoi du comment). Ce travestissement en femme, plus exactement en « Sasori », la femme scorpion (référence nipponne), illustre également la dualité homme/femme, omniprésente dans la description de chacun des personnages, et présente en Yu/Sasori. Cette Yoko, qui hait les hommes, tous les hommes sans exception, va donc tomber amoureuse de cette Sasori, qui n’est autre que Yu travesti. Chaque évocation de Yoko sera religieusement soutenue par l’ « adoramus te, o christe » tout au long du film. S’ensuit une série de péripéties tellement improbable que je me défends d’en parler davantage. Les intrigues s’entrecroisent et rendent impossible l’amour entre Yu et Yoko.

Love Exposure, c’est aussi l’essai d’une réunification entre l’amour charnel, et l’amour spirituel, à l’image de l’érection ostentatoire de Yu, sa première érection, aussi pure que l’érection d’une croix à la gloire de Jésus. Mais cette érection symbolique est condamnée par la morale catholique qui imprègne tous les personnages. Il y a des paradoxes, des incohérences, une schizophrénie qui est celle de nos sociétés, de notre morale, de notre humanité. Love exposure est un film catholique sur le sexe, sur l’amour, sur tous les amours, et je ne pourrais difficilement mieux le résumer qu’ainsi. Sion Sono, par son imagination, son inventivité, sa nouveauté, sa modernité, par la virtuosité de sa réalisation et de sa mise en scène, en alternant les formats, en multipliant les plans, en utilisant tous les artifices possibles, confère à son film un rythme étourdissant, avec une liberté de ton tantôt grave tantôt légère, une jeunesse et une impétuosité qui offre au cinéma de genre des perspectives souriantes.
Julien_Grolleau
7
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Créée

le 13 mars 2014

Modifiée

le 16 mars 2014

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Julien Grolleau

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