Love & Mercy s’attelle à la tâche ardue du biopic musical. Les exemples dans ce genre si exigeant sont légions, et si certains se sont démarqués et imposés comme de véritable référence du septième art (Ray, Walk the Line, Amadeus), beaucoup se sont heurtés de plein fouet à la difficulté de concilier documentaire et invention, vérité historique et fiction (Eden par exemple pour ne citer qu’un des plus récents).


Avec une campagne de publicité réduite, le film a fait une apparition relativement discrète dans les salles. Tout le monde ou presque connaît les Beach Boys, groupe mythique de pop des années 1960, contemporains des Beatles, au son gentillet et à cette musique basée sur des chœurs tournoyant autour d’une voix solitaire. Le tout évoquant un cocktail suave sur les plages californiennes.


Bill Pohlad (déjà producteur de Into the Wild, 12 Years as a Slave et Le Secret de Brokeback Mountain) signe un premier film aux antipodes des attentes, axé sur la vie de Brian Wilson, principal compositeur du groupe à deux périodes précises de sa vie. Le réalisateur entremêle l’histoire de Brian jeune mais déjà fragile (Paul Dano) et celle du Brian post-Beach Boys, schizophrénique et reclus (John Cusack). Une approche originale qui n’a pas sa pareille pour susciter une empathie profonde et une volonté de comprendre les raisons de cette déchéance.
D’emblée, on est saisi par l’esthétique du film. Le décor californien, reconnaissable entre mille, resplendit de couleurs chatoyantes, d’ondées rayonnantes. Big Eyes et Boogie Nights sont là pour nous le rappeler, plus que ses plages de sable blanc, ses luxueuses demeures le long du Pacifique, c’est cette sensation de débauche sauvage et incontrôlable, de foisonnement continu qui font de la Californie un lieu cinématographique qui prend aux tripes.


À seulement 22 ans, Brian Wilson rêve de musique, d’innover. Les tubes surf pop et les concerts avec les Beach Boys appartiennent d’ores et déjà au passé. Jeune homme extrêmement introverti et influençable, il souffre des relations avec sa famille. Même si ses frères, Dennis et Carl encouragent sa créativité et le supportent, son cousin et autre membre du groupe, Mike Love et surtout son père tentent invariablement de le ramener à cette machine à hits, dénigrant sans cesse son travail et son importance dans le groupe.


Les sessions d’enregistrement constituent un moment fondateur du film, elles permettent une immersion en douceur à travers l’observation de Paul Dano qui se donne corps et âme dans le seul lieu où il parvient à exprimer les voix enfouies au fond de son crâne. Expérimentant sans cesse (l’épisode avec le cheval est savoureux), il est en perpétuelle recherche de nouveautés, insatiable, éternel insatisfait et pourtant tellement génial. Révélé tout jeune dans Little Miss Sunshine, Paul Dano est grandiose comme à son habitude. Après le fanatisme démoniaque qui le caractérisait dans There Will be Blood, le voir endosser le rôle d’un jeune artiste solitaire est une nouvelle preuve de son indéniable talent. Sa versatilité ne cesse d’étonner, tout comme son manque de reconnaissance internationale.


“There’s no way out”. Par ses simples mots, Brian résume ce qu’est devenu sa vie, un cauchemar insidieux dont il ne parvient pas à s’éveiller et qui l’a poussé à passer trois années entières au fond de son lit. Ce lit tentaculaire, monstrueux, oppressant qui engloutit le frêle Brian au point de n’en faire qu’une petite silhouette égarée dans l’immensité des draps. Le traumatisme infligé par son père, homme brutal, se perpétue tel un cercle vicieux dont le Dr. Landy est le nouveau maître. Présenté sous la forme d’ellipses, le film bascule progressivement dans sa propre schizophrénie.
Jon Cusack et Paul Dano, chacun à leur manière, bâtissent le portrait d’un homme incroyablement isolé, plutôt d’un petit garçon égaré dans le corps d’un homme. Tendre et incroyablement créatif mais tourmenté par ses démons intérieurs, malgré l’amour de ses proches.


Au côté de ces deux acteurs, Elizabeth Banks se glisse dans la peau de Melinda avec intelligence et application. Sans jamais en faire trop, elle parvient à moduler ses expressions (notamment celles de son visage) afin de faire ressortir le kaléidoscope d’émotions que Brian provoque en elle. Peur, étonnement, consternation, révolte, amour, c’est ce dernier qui finit par l’emporter et la pousse à construire une relation envers et contre tout. De son attachement et sa vaillance viendra le salut de Brian.
Déconstruite et morcelée entre sa vie de jeune adulte et les années de souffrance et d’abandon, cette biographie de Brian Wilson pourrait paraître bien vaine si Bill Pohlad n’était pas parvenu, dans la construction de son scénario et dans l’importance accordée aux émotions de ses personnages, à capturer l’essence d’un artiste perdu dans un monde qui n’est pas fait pour lui.
Intimiste, sensoriel, envoûtant, Love & Mercy s’inscrit dans la lignée des plus grands biopics musicaux. En présentant les deux faces d’un homme, plutôt que celle d’un musicien, le film nous emmène dans une spirale infernale, que seule la fin ternit légèrement.

Paul_Gaspar
10
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le 14 avr. 2021

Critique lue 42 fois

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