Quand j'étais petit, j'avais entendu parler d'un album qui s'appelait "Pet Sounds". Je pensais que c'étaient des chansons composées à partir de bruits de pets. Je voyais ça comme l'album le plus subversif de la Terre. Lorsque j'ai fini par entendre les chansons en question, j'ai été très déçu : de la pop, et pas une flatulence. Alors les Beach Boys, pour moi, c'était fini. Leur compte était réglé.
Love & Mercy m'a donné à réentendre les Beach Boys. C'est très beau de voir les morceaux, non pas se composer (le film n'aborde pas les mystères de la création), mais s'assembler. Chaque instrument, chaque partition, et comment tout cela finit par former un ensemble. Une seule oreille réunit ce petit monde. La subversion n'est pas celle du pétomane, mais elle est là quand même : ce que fait Brian Wilson est impensable ; dans l'incohérence de ses objets de désir, il trouve seul l'alchimie. Le film a déjà cette première qualité : la biographie ne se départit pas de l'oeuvre.
L'autre grande qualité du film, c'est sa structure. Nous alternons entre deux époques, avec deux acteurs incarnant Brian Wilson à deux âges différents. Entre ces deux acteurs, il y a un temps, celui du désastre, qu'on ne voit pas, mais qui est partout présent, dans les séquences avec Brian Wilson jeune sous la forme de présages, dans celles avec Brian Wilson âgé sous la forme de poids, de séquelles, d'impossibilités. Et le récit saute d'un âge à l'autre, conservant toujours en son centre, dans chacun de ses raccords, cette ellipse, ce black-out. Au fond, Bill Pohlad imite Brian Wilson au travail : il cherche à réunir ce qui semble délié.
Enfin, il y a le problème de la schizophrénie. La schizophrénie au cinéma, c'est Fight Club, c'est l'hyperactivité. Au contraire, dans Love & Mercy, le schizophrène n'est pas un guerrier mais un prisonnier. Bill Pohlad montre ses empêchements, ses défaites. Il n'y a jamais l'idée d'un triomphe de la folie, ou d'une folie glorieuse, qui serait le prix à payer pour avoir composé de si belles chansons. Le lien entre folie et création n'est pas si évident. Les deux coexistent, et peut-être au début la folie ouvre-t-elle quelques portes, mais bien vite les portes se referment, la folie s'installe, et la création disparaît. Il n'y a pas d'héroïsme du schizophrène. Il y a une maladie, et c'est cela qui nous est montré : la maladie ne s'accapare pas tout le génie de Brian Wilson, Bill Pohlad lui laisse toute la responsabilité de son oeuvre.
Là est aussi la légère limite du film : très empathique, il ne s'embarrasse pas de nuances. Le psycho-gourou est immédiatement haïssable, Melinda Ledbetter est immédiatement amoureuse, attentive, patiente à en pleurer. Si on accepte le conte de fées, on peut être ému par l'héroïsme courtois de cette grande blonde, et par ce panneau "end" qui signe la fin du film en un lieu inattendu. Je l'ai été.