Lucy
4.7
Lucy

Film de Luc Besson (2014)

C'est munie d'une bonne volonté de cinéphile avertie mais tolérante, que je suis allée voir Lucy. Oui, parce qu'un film peut être nul, à de multiples points de vue, mais remplir sa mission de divertissement primaire : "tu poses ton cerveau à l'entrée, et si tu veux tu le récupères en sortant". En gros : de l'action et surtout pas de scénario, si c'est le parti pris affiché du film on est plus prompt à se laisser avoir.
Je me rends donc au Gaumont Opéra, séduite par les aspects très vendeurs que présente ce film a priori : de la science fiction sous tendue de trafic de drogue - et pas n'importe laquelle : une drogue de ouf malade, toute bleue en gros cristaux - des coréens qui se foutent sur la gueule, Scarlett, devenue hyper intelligente qui s'en va démonter les méchants à toute berzingue, et un scénario qui n'est pas sans rappeler celui de Limitless, un raté honnête et pas désagréable. Sur le principe, j'achète. La bande annonce laisse rêveur, ça pète dans tous les sens, le méchant agace, et on voit du pays. Et puis, après l'échec amusant de Malavita, ça fait plaisir de voir Besson renouer avec les bonnes vieilles habitudes : une hit girl sexy qui tue tout le monde, des méchants, des effets spéciaux, des bagnoles, des flics... On repense, nostalgique, à Nikita, Léon, Leeloo... Peut être même à Taxi, qui sait.
Et franchement, le truc des capacités du cerveau, pourquoi pas. On sait que c'est faux, que Morgan Freeman dit vraiment n'importe quoi sauf peut être quand il parle de dauphins, mais allez ! soyons fous, les minimoys non plus n'existent pas.
Mise en garde par mes potes, j'y vais quand même.

On commence déjà par nous montrer un australopithèque en train de boire de l'eau. WTF ? On nous refait la scène du monolithe ? Besson aurait-il poussé la mégalomanie à se prendre pour Kubrick ? Je me tortille sur mon siège. Fond de Darwinisme ? Le message est passé : l'australopithèque utilise moins son cerveau que l'homo sapiens sapiens évolué que nous sommes. Mais quand même il sait se servir de sa main pour boire de l'eau.

Ensuite, voyage dans le temps, nous voici en Asie dans une ville débordante d'activité et en voix off cette chère Scarlett qui nous dit "nous avons les connaissances, qu'en avons nous fait ?" Images de la circulation, des scooters, des bagnoles, des publicités, des autoroutes... Je me re-tortille. C'est long.
Ensuite, scène interminable, à savoir la pauvre Lucy qui discute gentiment avec son pote et se retrouve une mallette accrochée de force à son poignet, sans la moindre idée de ce qu'elle contient, obligée de faire une livraison à un monsieur Jang qu'elle ne connaît pas pour un type qu'elle connaît à peine. Là déjà c'est dur, vraiment. Ajoutons à cela que Besson se croit reporter animalier : à ce début pénible, s'ajoute une succession d'images dont on ne comprend pas bien ce qu'elles font là : on nous bombarde d'extraits documentaires montrant un guépard qui chasse une antilope. Mais suis-je bête ! L'antilope c'est Lucy et le guépard, c'est monsieur Jang ! Mais il ne faut pas abuser de la métaphore, le spectateur se sent pris pour une buse à force.

En parallèle, une conférence de Morgan Freeman, chercheur et théoricien, et grand visionnaire aussi, ne l'oublions pas. Images de cellules en mitose, d'animaux qui se reproduisent, et je ne me souviens pas de tout tant c'est fouillis et inutile. Et très moche.

Les scènes suivantes sont bien meilleures, même si toujours entrecoupées d'images d'antilope au bout du bout de sa vie. Scarlett est paumée, elle ne veut pas être là et elle ne comprend rien, et ça commence à ressembler à un film. A un film pas trop mauvais.
Monsieur Jang vient de dézinguer des mecs, il se rince ses mains pleines de sang à l'eau d'Evian, et il ne parle pas anglais (où il fait semblant, le fourbe). L'acteur est vraiment convaincant et a une bonne tête de méchant ; je commence à me détendre sur mon siège.
Dans la mallette, on découvre la drogue, cristaux bleus dans des gros gros sachets. Contre son gré, Lucy va devoir faire la mule et se retrouve avec un sachet d'un petit kilo dans le ventre. On la maltraite, le sachet explose et la drogue se répand dans son corps. Après un long sommeil agité de convulsions électromagnétiques qui la collent au plafond, elle se réveille et ses sens sont décuplés. Elle capte le truc direct, elle n'est pas contente et va se venger. Et quand elle se venge sur le requiem de Mozart, on est content. Et puis vient la scène dans l'avion. On y voit la jeune femme se décomposer en une infinité de cellules, et on comprend que désormais, elle peut être ce qu'elle veut mais aussi qu'il y a un revers à la médaille de la connaissance.
C'est rythmé, on a envie de savoir comment ça va se passer, qu'est ce qu'elle va faire de tout ça, et si elle va s'en sortir à la fin, peuchère.

Voilà, les bonnes scènes du film sont au début.

Ensuite c'est un bordel sans nom, inélégant et grossier.
On y voit Scarlett réussir progressivement à coloniser l'intégralité de son cerveau et devenir une super héroïne hyper sophistiquée, plus que n'importe quel Avenger.
Mais ses jours sont comptés et pour rallonger son espérance de vie et surtout coloniser tout son cerveau, il faut qu'elle récupère le reste de la drogue dans le ventre des autres mules, et y a un flic qui va l'aider, bonne poire putain. Normal. C'est un flic français.
Et avant sa désintégration, elle doit transmettre ce qu'elle a acquis, parce que Morgan Freeman le lui a conseillé. Parce que Lucy sait tout, mais pas vraiment à quoi lui sert son super pouvoir de meuf géniale et omnipotente.

On ne décrit pas la suite du film, parce que c'est nul et pas intéressant. On retiendra quand même que :
-les forces de police en Europe sont très désorganisées
-on peut foutre le bordel dans les douanes sans trop de problèmes parce que les flics vont chercher un sandwich
-on peut prendre d'assaut une université et sortir des bazookas sur un parking sans être dérangé
-face à une menace majeure et inconnue, la France envoie 4 bagnoles de policiers et puis c'est tout
-ça ne choque personne qu'une peugeot foute tout le traffic parisien sans dessus dessous.
Allez on va le dire : belle poursuite hein. Et c'est fou comme les voitures de police rebondissent bien sur le bitume.

Ajoutons à cela :
- les maximes pessimistes de Docteur Freeman (je cite : "l'humanité n'est pas prête à tant de connaissance", et ça parle de chaos aussi à un moment), parce que Morgan Freeman dans ce film c'est le petit côté intello-humaniste de Besson. On s'en passait très bien.
-les multiples effets spéciaux (de qualité disparate et toute relative) pour bien montrer que Lucy n'est pas la première meuf venue puisqu'elle peut voir à l'intérieur des gens, détecter toutes les sortes d'ondes qui existent (tout en code couleur, c'est plus simple pour trier), suspendre des mecs au plafond sans les toucher, conduire une voiture, apprendre le chinois en une heure, voir les racines des arbres sous terre... Une Carrie des temps modernes avec une date de péremption, en somme.

Et vient la fin du film : réalisation précipitée, manque total d'inspiration, du sang et surtout des larmes de déception : Scarlett se transforme en pokémon pour créer un ordinateur, fait un voyage et aperçoit des calèches, des dinosaures, (ils sont mieux faits dans le premier Jurassic Park, c'est triste) Lucy, son homonyme australopithèque (belle scène là encore, on croirait le plafond de la chapelle sixtine, j'en connais un qui doit se retourner dans sa tombe) et le boson de Iggs bien sûr (on ne sait pas trop mais bon, ça ressemble à l'apparition de la terre). Tout ça pour pondre une clé usb (au design certes travaillé, on la veut tous), c'est quand même tuer une mouche au cocktail molotov. Mais c'est pour la bonne cause : si Scarlett est allée si loin, si elle a accepté de se réduire à l'état de particules, c'est pour livrer tout ce qu'elle sait à la postérité. Et oui les amis ! Parce qu'avec la connaissance, vient AUSSI le sens du sacrifice.

Bref un gros raté et c'est bien dommage.
Le principe aurait pu faire un divertissement de qualité, au lieu de quoi Luc Besson nous sert une bouse sur un plateau en alu : un film inégal, sans humour, moralisateur et mal fichu, malheureusement doté d'un scénario, alors qu'il le sait Besson, qu'il s'en sort mieux sans ! A croire qu'il "a sous traité la réalisation de son film à un stagiaire". Ce ne sont pas mes mots, mais plus j'y pense...
marineloutre
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le 11 août 2014

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marineloutre

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