Rohmer, le cinéaste qui filme des dialogues philosophiques. Pas ce que je préfère au cinéma, mais il faut avouer qu'il le fait avec talent. Ici, c'est le pari pascalien qui est au centre des échanges. Au café, entre Vidal et Jean-Louis, la conversation est assez passionnante ; elle l'est un peu moins, ai-je trouvé, dans l'appartement de Maud. Je n'ai pas trouvé non plus Françoise Fabian irrésistible de sensualité, comme j'ai pu le lire. SI le projet rohmerien a en partie échoué pour moi, c'est parce qu'il consistait à confronter la rhétorique à la vie. En un mot, comment la vie et le caractère imparable du réel peut ébranler nos convictions. Finement, Rohmer montre qu'elle les ébranle mais ne les fait pas forcément vaciller, car Jean-Louis réalisera bien son projet initial : épouser Françoise. Tel est le pari de Rohmer. Un beau pari, mais pour ma part, faute de m'être senti totalement immergé dans cette vie, il ne m'est resté (presque) que la rhétorique...
Le début a ma préférence : ce Jean-Louis très sûr de lui, filmé du haut de son chalet, puis la messe, que Rohmer a l'audace de filmer longuement ; puis Françoise, très belle, telle une apparition ; puis la course-poursuite, chaotique, dans Clermont : déjà, le réel qui fait vaciller les convictions, ici celle que Françoise "sera sa femme".
Et puis le personnage principal surgit : Le Pari de Pascal, acheté dans une librairie. Peu après, Jean-Louis tombe sur Vidal, qui va l'amener d'abord à un concert, que Rohmer filme longuement comme la messe - les deux expériences peuvent en effet être mystiques, même lorsque les interprètes sont, comme ici, de second plan ai-je trouvé, quant à la rigueur rythmique. Après le concert, c'est chez Maud que Vidal traîne le réticent Jean-Louis, qui reste toutefois attentif, en homme de foi, aux signes que lui envoie la vie.
Dès le début Vidal embrasse fougueusement Maud, mais on sent que ce couple-là ne fonctionne pas. On le devinait déjà quand Vidal disait à Jean-Louis que s'il y allait seul ils feraient l'amour "par désoeuvrement". On se met à table et, alors que la conversation roule sur le fait de savoir apprécier ou non ce que donne la vie, la fille de Maud apparaît, désireuse simplement de voir le sapin allumé. Emerveillement de l'enfance, qui a tout à voir avec la foi. Une idée formidable du cinéaste, très touchante, qui fait bien le lien entre la vie et les idées.
Vidal parti, la longue conversation avec Maud, cette fameuse nuit, m'a moins captivé. Sensation d'arguties qui ne mènent nulle part, une sorte de marivaudage intellectuel un peu vain. On ne peut incriminer Trintignant, donc chaque sourire est irrésistible, chaque expression stimulante. Je crois que c'est Françoise Fabian qui ne m'a pas convaincu - une impression sans doute assez subjective, je l'admets, mais centrale quant à mon ressenti du film. Résultat : la scène de marche dans la montagne et celle ensuite où ils font ensemble la cuisine m'ont paru longuettes. Et très bavardes.
En revanche, j'ai trouvé Marie-Christine Barraut magnifique : tout comme Trintignant, chacun de ses sourires est une fête, son regard est habité. Le moment où il l'aborde dans la rue est magique.
Rohmer joue à fond de la dualité Maud/Françoise : la chevelure bien sûr (brune et lâchée chez Maud, blonde et coiffée chez Françoise), les prénoms (Françoise est le prénom de l'actrice qui joue Maud, alors que Jean-Louis porte son propre prénom), le fait que Françoise ait été, on le comprend à la fin, la maîtresse de l'ex-mari de Maud.
Jean-Louis, quant à lui, outre qu'il ne "sait pas ce qu'il veut", comme le lui déclare la très directe Maud, apparaît comme le jouisseur que cachent son discours idéaliste et son costume noué serré. Une sorte de Tartuffe finalement, sans le caractère manipulateur et la volonté d'escroquerie toutefois. Un Tartuffe qui ne se mentirait qu'à lui-même... Assez vaniteux aussi : on le voit lorsqu'il affirme à Françoise que le jour où il est allé chez elle il sortait d'une nuit où il avait couché avec Maud. Le spectateur sait bien que c'est faux et reçoit ce mensonge comme une vantardise révélant le désir de briller de Jean-Louis - peut-être aussi celui de continuer à dominer Françoise qui vient de lui avouer une liaison, lui qui est plus âgé, plus installé dans la vie.
Tout cela est riche. Ce qui cloche, ce sont finalement les nuits car celle qu'il passe chez Françoise, tout aussi platonique que la première (on est chez Rohmer !), nous donne droit à une nouvelle discussion autour du "système de pensée de Jean-Louis", guère plus passionnante que la première, peut-être parce qu'un peu trop "Jean-Louis centrée" ?
Alors, même s'il faut reconnaître à ce Ma nuit chez Maud de beaux moments (j'aime bien aussi la séquence où Jean-Louis éteint une à une les lampes dans l'appartement de Maud, modifiant graduellement la composition de l'image en termes de blanc et de noir), je n'y ai pas vu le chef d'oeuvre annoncé. Son pari à lui n'est ici, à mes yeux, qu'à moitié tenu : il ne marche (presque) que sur une seule jambe, celle du discours.
3